1999 – RAPPORT ANNUEL – Autonomie de la jeunesse

Si l’on estime que, dans une démocratie fondée sur les droits de la personne humaine, l’autonomie est une nécessité, la société donne-t-elle à ses jeunes les moyens de devenir des citoyens autonomes et responsables : accès aux études, au travail, à la culture, à l’élaboration d’un projet personnel ?

Un constat désolant de l’état actuel d’une partie de cette population a été mise en évidence : santé, études, apprentissage de la démocratie, emploi, nous avons écouté ces jeunes et ceux qui les côtoient : enseignants, médecins, associations humanitaires, associations de jeunes, syndicats… La jeunesse est devenue la partie de la population la plus pauvre, précarisée, la moins bien rémunérée – quand elle l’est – et la plus exploitée. Le Haut comité de santé publique a alerté les pouvoirs publics sur son état de santé physique en régression.

Si être autonome c’est s’assumer, donc disposer de ressources personnelles permettant de se nourrir, se vêtir, disposer d’un logement, se chauffer, avoir accès aux soins de santé, accès aux transports, il y a loin de la coupe aux lèvres. On a accordé la majorité à 18 ans en refusant aux jeunes les moyens de leur indépendance, jusqu’à 25 ans.

De plus en plus d’étudiants ont des difficultés à vivre en continuant leurs études. 30,5% des jeunes de 16-30 ans touchent moins de 5.000F par mois. Pour celui qui n’a pas d’emploi, la prise en charge reste assurée par la famille quand elle le peut. Les allocations de chômage sont accordées après 4 mois de travail consécutifs à temps plein. Cette précarité conduit les plus démunis à l’exclusion, et, pour certains, à une violence ou une auto-violence. Les plus démunis, exclus ou en voie d’exclusion, sont pris en charge et soutenus par les organisations humanitaires sans lesquelles l’ampleur du désastre sur cette jeune génération, déjà dramatique, serait infiniment plus évolutive. D. Le Scornet, président des Mutuelles de France, demande un volet « sécurité sociale jeune » comme il existe une sécurité sociale vieillesse.

Pour des raisons dites d’éthique, mais plutôt économiques, on refuse l’extension du RMI au dessous de 25 ans. Cette discrimination, car c’en est une, fait qu’une partie de la population la plus pauvre n’a aucune ressource. La LDH n’a pas pris position sur cette question, les avis étant partagés, mais il faut y réfléchir. Il est évident que le « droit au travail » que nous revendiquons à la LDH permettra à ces jeunes d’acquérir leur autonomie complète. Mais entre temps ? Ils sont les plus touchés par le chômage et les emplois précaires. Le programme TRACE est considéré comme une bonne voie à condition d’aller plus loin et les emplois jeunes seront réussis s’il y a pérennité de l’emploi, une véritable formation pendant les 5 ans et l’acquisition d’une expérience.

Dans l’accession à l’emploi les jeunes se répartissent, plus ou moins, en trois catégories :

  • les plus démunis, sans qualification : les plus concernés par les difficultés d’insertion ;
  • les jeunes avec BTS ou CAP pour lesquels l’apprentissage est souvent considéré comme une forme d’exploitation avec une formation insuffisante, quand elle existe ;
  • les étudiants diplômés confrontés à des emplois au dessous de leurs qualifications qu’ils acceptent, pressés par l’urgence de trouver un travail.

Ajoutons les jeunes handicapés pour lesquels il faut des infrastructures adaptées.

Les femmes sont plus spécialement touchées dans toutes ces catégories.

Concernant le logement, comment veut-on que les jeunes puissent se loger quand on sait que même les organismes de logements sociaux exigent un revenu de trois fois le montant du loyer plus une caution d’un mois minimum ? L’aide au logement accordée est insuffisante pour une partie d’entre eux. Pour les couples, les cités U ne donnent pas les conditions d’une véritable autonomie. Les plus démunis ont recours aux foyers et aux organisations humanitaires. Certains deviennent des SDF ou des errants. Quid d’une politique du logement adaptée aux jeunes ?

Ce sont les conditions de vie, la citoyenneté sociale, les atouts qui auront été donnés aux jeunes qui leur permettront l’insertion par l’emploi et l’autonomie véritable. Qu’ont-ils reçu en termes d’enseignement, d’apprentissage de la démocratie, d’accès à la culture, à la santé ?

Dans le domaine de la santé, les syndicats de l’Éducation nationale, les médecins, infirmiers, assistants sociaux, enseignants – véritables témoins – constatent une dégradation effarante. Seules les familles d’un niveau économique et culturel satisfaisants peuvent assurer la prévention, la détection, et le suivi des prescriptions nécessaires au bon épanouissement de leurs enfants. Que faisons-nous pour la santé de nos enfants ? Trois bilans de santé : à 6 ans lors de l’entrée dans le primaire, en 3e et en faculté. 5.700 infirmières pour 7.500 collèges et lycées et 55.000 élèves, 260 infirmières pour 2 millions d’étudiants !

L’enseignement scolaire, premier élément intégrateur, est lui aussi défaillant. Il reste adapté aux plus favorisés. Un effort considérable, un investissement massif sont à faire en faveur des jeunes pour une enseignement rénové dans sa forme et ses structures (personnel et locaux insuffisants). L’apprentissage de la démocratie fonctionne mal dans les conseil de classe, d’administration et l’université : fictifs, « bordés » avant les séances. Une réflexion sérieuse sur ce fonctionnement s’impose ainsi qu’une formation pour les délégués.

Les conditions de vie dans certains quartiers sont lamentables et nécessitent de gros investissements pour désenclaver les quartiers défavorisés, une véritable politique d’urbanisme et d’infrastructure : proximité des services administratifs, transports, commerces, centres mixité sociale, conseils de quartier. Créer une véritable vie autonome et donner à chacun le goût de vivre dans sa cité.

La culture qui était le levier de la transformation des sociétés est aujourd’hui disqualifiée. Il n’y a pas de volonté politique de la culture. La connaissance des arts et leur formation demeurent en France accessoires. La possibilité pour le jeune de se cultiver n’est possible que pour l’étudiant dont le niveau d’instruction lui permet de faire la démarche ou pour celui dont le milieu familial économique et culturel favorisent cette recherche.

Et pourtant au-delà la qualité de vie personnelle, la culture est aussi un outil puissant pour vaincre le racisme et aller à la rencontre de l’autre car la peur s’alimente de l’ignorance.

La société remplit-elle son rôle vis-à-vis des jeunes ? Qu’en est-il de nos promesses de liberté, égalité, fraternité ? Si le jeune n’a pas de citoyenneté sociale, on peut difficilement escompter une attitude citoyenne. Pour les jeunes défavorisés des quartiers ou banlieues à risques, les seuls contacts avec l’État sont ceux de la répression par la police, d’où cette difficulté de les intégrer dans une société qui les a rejetés. Certains trouvent leur autonomie dans l’illégalité. L’insertion doit être sociale, civique, culturelle, professionnelle et politique. Une partie de la population est handicapée par la langue, le niveau social ou culturel. Son engagement politique peut parfois se révéler extrémiste.

Ces graves défaillances exigent la prise de conscience de tous les acteurs et de l’Etat. C’est en investissant maintenant dans tous ces domaines qu’on réalisera plus tard des économies considérables.

Les syndicats d’étudiants réclament un statut pour les étudiants qui veulent être les destinataires directs des allocations que reçoivent leurs parents. Ils souhaitent également une allocation étudiants pour acquérir leur autonomie, pouvoir se loger et se consacrer à leurs études, puis une allocation de recherche d’emploi.

Les jeunes sortis du système scolaire (obligatoire jusqu’à 16 ans) et sans emploi ne sont soutenus par aucun syndicat. Les organisations humanitaires prennent en charge les plus démunis. Ce sont elles qui exposent les injustices du système et revendiquent à leur place. Elles demandent, pour la plupart, l’extension du RMI au moins de 25 ans (à 16 ou 18 ans).

S’il y a une autonomie très forte des jeunes, il n’y a pas d’autonomie de la jeunesse en matière de ressources, d’emploi, de possibilité de déployer sa propre personnalité. Les savoirs et les richesses sont là, c’est donc qu’il y a un problème fondamental de représentation de la société.

Être autonome a-t-il un sens s’il se réduit à l’autonomie financière sans être conscient de sa responsabilité individuelle et collective ? Une autonomie sans responsabilité personnelle peut avoir des dérives dangereuses de prise de risques. Une autonomie sans le sens de la responsabilité collective peut conduire à un individualisme et un égocentrisme incompatibles avec la vie en société.

C’est de notre responsabilité de les y éveiller et de faire les choix politiques conséquents.

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