1997 – Résolution adoptée lors du 77ème congrès (21, 22 et 23 mars) – Islam et laïcité

La laïcité est, en France, au cœur d’une conception citoyenne de la République, et de la société. Elle est inséparable d’une démocratie vivante, qui ne se résume pas en un exercice électoral, et d’une recherche constante de l’égalité des droits.

 

Thème récurrent, la laïcité reprend, aujourd’hui, une place importante dans les débats qui agitent la société : affaire du voile, intégration des populations d’origine étrangère, atteinte à la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État, l’école, bien sûr. Si l’ensemble de la société se réclame de la laïcité, tous n’en ont manifestement pas la même compréhension et n’en tirent pas les mêmes conséquences. Les termes de la polémique deviennent si confus que les clivages traditionnels, droite-gauche par exemple, ne suffisent plus à rendre compte des antagonistes existants ; le mouvement laïque entretient lui-même en son sein des désaccords. Dès lors, l’effort de clarté et de rigueur est plus que jamais nécessaire, à la mesure des enjeux que révèle la controverse.

 

Depuis quelques années, l‘essentiel du débat se déroule autour de l’Islam. Cette religion focalise sur elle bien des images et des peurs : jeunes filles voilées, banlieues, et donc immigration, sous la coupe de l’intégrisme, terrorisme, etc. ce sont ces clichés qui provoquent, lorsque la construction d’un lieu de culte musulman est envisagée, les réactions que l’on sait. C’est pour les mêmes raisons que certains proclament l’incompatibilité définitive de l’Islam et du « modèle français d’intégration ».

 

A bien écouter les propos de ceux qui, au nom de la laïcité, exigent des musulmans, français ou étrangers, une soumission à un modèle pourtant loin d’être parfait et qui sous bien des aspects les rejette, on s’interroge sur leurs motivations exactes.

 

S’agit-il d’intégrer des populations d’origine étrangère et pratiquant l’Islam ou s’agit-il de les rejeter, en prenant pour prétexte, parmi d’autres, que l’Islam rendrait impossible cette intégration ?

 

L’Islam et la loi de 1905 :

 

A l’inverse de certaines proclamations, la loi de séparation des Églises et de l’État est une loi de liberté, fruit d’une longue histoire, de luttes ardentes et, pour finir, de négociation. Elle consacre la séparation institutionnelle de la République et des Églises mais légitime la présence de celles-ci en reconnaissant leur existence légale par le biais des associations cultuelles.

Depuis près d’un siècle, la loi de 1905 a régulé les rapports de l’État et des cultes chrétien ou hébraïque : ce serait faire injure à tous ceux qui depuis un siècle ont porté cette idée de laïcité que d’affirmer que la situation, aujourd’hui, est de même nature qu’en 1905.

La laïcité a irrigué, en France, tous les domaines de la société, bien au-delà du simple aspect institutionnel, la grande majorité de nos concitoyens est convaincue que les champs respectifs du politique et du religieux doivent être séparés. Ceux qui pensent pouvoir imposer aux individus les choix d’une Église ne sont qu’une minorité qui peut, ici ou là, prendre une certaine importance, sans pour autant, emporter l’adhésion de la majorité. La laïcité est largement intégrée dans notre mode de vie. Dans cette évolution, le rôle de l’école, laïque, comme creuset de l’intégration, a été considérable et reste capital.

 

Aucune raison ne permet de soutenir que l’Islam empêche les musulmans de s’intégrer dans ce contexte : l’hypothèse selon laquelle l’Islam, en raison de son corps de doctrine, serait incompatible avec la République revient à ignorer que ce discours a déjà été tenu à propos de l’Église catholique. Il ne ressort pas des préoccupations de la laïcité d’établir un classement entre les dogmes.

 

Mener campagne contre le sort réservé à S. Rushdie, à Nasr Abou Zeid et à sa femme ou a Talisma Nasreen, ce sont là des évidences que la LDH a, en permanence, rappelées mais qui n’impliquent pas de dénoncer les commandos anti-IVG ou les tentatives de modifier la loi de 1905 n’implique de rejeter en bloc chrétiens et Églises chrétiennes.

 

La laïcité détournée de son objet :

 

Si la question est posée en ces termes, c’est qu’en même temps que l’Islam est présenté comme un danger ; le statut des étrangers, dont nombre sont musulmans, est fortement précarisé.

 

La modification du code de la nationalité, les lois Pasqua, le projet de loi Debré, les pratiques policières et administratives montrent la volonté de déstabiliser l’ensemble des étrangers non communautaires résidant en France.

 

Bien entendu, si ceux qui ne sont pas de nationalité française subissent de plein fouet les conséquences de cette politique, ceux qui ont acquis à un titre ou à un autre, ce statut juridique en pâtissent également. Pour être regardé comme français, il ne suffit plus de produire une carte d’identité, il faut accepter de se soumettre à un modèle imposé, qui, dans les faits, génère l’exclusion : l’enfermement dans les cités, l’absence de travail, le délitement du lien social sont le terreau d’une révolte que certains tentent de détourner vers l’intégrisme religieux. Ces facteurs conduisent les institutions les plus porteuses d’intégration, notamment l’école, à ne plus pouvoir remplir pleinement leur fonction. D’aucuns tentent même de faire de la référence à la laïcité un agent de l’exclusion.

 

Les populations d’origine étrangère, de nationalité française ou non, sont renvoyées à une existence communautaire qu’elles vivent comme le lieu d’une existence sociale et culturelle qui leur est déniée par ailleurs : l’Islam devient, alors, un mode de reconnaissance, qu’il fasse ou non l’objet d’une pratique assidue (selon toutes les enquêtes récentes, la pratique religieuse de l’Islam a tendance à diminuer).

Dès lors, l’Islam, en tant qu’élément de visibilité sociale, est utilisé comme une raison supplémentaire, presque comme un alibi, pour rejeter ces populations dont, en fait, c’est la présence en France qui est mise en cause.

 

A ignorer cette dimension, on condamne la laïcité à ne plus être que l’affirmation abstraite de valeurs contredites quotidiennement dans la pratique : cela vaut pour tous, musulmans ou non.

 

Pour un projet laïque :

 

Les enjeux sont à la fois permanents et diversifiés.

D’une part, la laïcité ne peut ignorer l’existence et la place de l’Islam dans notre société ; elle reste ce cadre indispensable, qui offre et le respect de la liberté de conscience et la garantie du libre exercice des cultes.

D’autre part, la sécularisation relative de la société, la mondialisation économique et la modification du paysage culturel, social et religieux que connaît la France imposent à la laïcité d’ouvrir de nouveaux champs de réflexion et de répondre à des enjeux nouveaux.

 

Dans ce contexte, la LDH considère que :

– La laïcité ne doit être utilisée, en aucun cas, comme mode d’exclusion, ni au nom d’une antireligiosité qui ne relève pas de sa démarche, ni pour les besoins d’une discrimination envers des populations d’origine étrangère.

– La laïcité doit prendre en charge aujourd’hui non pas le « droit à la différence » qui suppose une relation majorité/minorité et qui est donc fondamentalement inégalitaire, mais l ‘émergence neuve du pluralisme culturel. Cela ne signifie pas que tout se vaut. Le pluralisme culturel nous oblige à définir plus précisément le rapport entre l’universel, les principes communs à toute l’humanité indépendamment des origines et des cultures, et le particulier, ce qui est propre à chaque culture sans contredire un socle commun à l’humanité.

– Le dispositif institutionnel laïque qu’exprime la loi de 1905 est toujours efficient et peut accueillir sans difficultés particulières l’Islam de France en regardant cette religion comme les autres cultes. L’égalité de traitement doit être la règle : la loi, rien que la loi mais toute la loi, tel doit être le principe de base de toute politique publique. Traité comme toutes les religions, l’Islam doit bénéficier de la même liberté de culte mais doit supporter aussi les mêmes contraintes qu’impose une société laïque, pluraliste et profondément sécularisée. La diversité culturelle trouve sa place dans le respect des principes fondamentaux de la République.

– Le débat essentiel n’est pas celui d’une prétendue opposition entre Islam et laïcité : il est celui des banlieues, de l’école, des jeunes des quartiers populaires et de leur avenir. Pour être pleinement résolue, l’équation entre laïcité et Islam exige l’application de l’esprit et de la lettre de la loi de 1905, et aussi une action résolue en direction des problèmes sociaux qui n’ont le plus souvent rien à voir avec le débat laïque. C’est à la condition que se développe un réel projet politique qui prennent en compte les problèmes sociaux qu’incarne l’exclusion de millions de personnes, françaises ou non, musulmanes ou non, que la laïcité remplira pleinement son rôle.

 

C’est pourquoi, la LDH :

– Réaffirme son attachement à la loi de séparation des Églises et de l’État et poursuivra son action pour que celle-ci soit respectée.

– Appelle ses sections et l’ensemble du mouvement laïque à lutter contre toute forme d’intégrisme et à s’emparer contre toutes les atteintes à la liberté de conscience, qu’elles concernent le droit à pratiquer une religion ou à n’en pratiquer aucune.

– Appelle ses sections et l’ensemble du mouvement laïque à s’engager contre toutes les discriminations dont sont victimes, aujourd’hui, en France, les populations d’origine étrangère.

– Prendra toute initiative qui permettra au mouvement laïque de débattre de ces questions et d’aboutir à une position commune.

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