1996 – Résolutions adoptées lors du 76ème congrès (31 mars) – Résolution générale

On ne peut aujourd’hui penser l’action pour la défense des droits de l’homme et l’épanouissement de la citoyenneté en se limitant à l’analyse de la situation politique et sociale de l’Hexagone. Les conséquences de la mondialisation sur l’économie et les choix liés à la construction européenne pèsent sur la vie quotidienne de chacun et sur l’évolution de toute notre société.

Leurs contraintes servent aussi d’alibi à ceux qui gouvernent en poursuivant depuis de nombreuses années une politique économique qui s’est révélée incapable d’enrayer l’aggravation constante du chômage, le renforcement des inégalités, la généralisation d’une insécurité angoissante pour ceux qui, du fait de la précarité de leur emploi, n’ont plus de repères d’avenir stable.

Jacques Chirac a été élu sur la promesse de tout mettre en œuvre pour mettre fin à une situation dont il affirmait qu’elle n’était pas une fatalité. Il a ainsi battu la gauche traditionnellement porteuse des espoirs d’une société plus juste mais qui laissait après son passage au pouvoir, trop de désillusions.

Il s’est avéré que le Président de la République ne tenait aucun compte de ses engagements, son Premier ministre poursuivant la politique économique et sociale de ses prédécesseurs. Remise en question, la sécurité sociale a mobilisé pour sa défense en décembre les forces syndicales qu’on se plaisait à dire sur le déclin. La citoyenneté sociale s’est affirmée. Les étudiants, les fonctionnaires, les agents du service public en grève et les millions de manifestants qui se sont rassemblés à travers le pays ont montré que, contrairement à ce qu’elle pensait, la majorité n’avait pas tous les droits au prétexte qu’elle disposait de tous les pouvoirs.

Cette expression collective a mis en évidence le fait que tous les salariés, même titulaires d’un poste stable, se sentent de plus en plus menacés par la précarité de l’emploi et l’extension des phénomènes d’exclusion sociale. Un nombre grandissant d’hommes, de femmes et d’enfants sont relégués aujourd’hui aux marges de notre société, exilés dans des quartiers périphériques ou dans des agglomérations excentrées.

Ils sont souvent dépourvus de l’accès aux droits sociaux et sans véritables moyens d’expression civique. Quand, de surcroît, ils sont étrangers, ils sont, plus que jamais, exposés en vertu des intolérables lois Pasqua, à voir mis en cause leur droit au séjour et, par là même, à être privés de leurs droits élémentaires.

Premières victimes de l’insécurité, de la drogue et de la violence, les résidents de ces quartiers sont aussi accusés d’être collectivement responsables de ces phénomènes qui sont avant tout la conséquence de la situation sociale. La méfiance, en particulier à l’égard des jeunes, grandit parce qu’on craint que le sentiment de l’injustice ne les pousse à une révolte violente, qui se manifeste déjà de façon sporadique. La voie est ouverte, chez ceux qui n’ont comme dernier « privilège » que leur nationalité ou un emploi précaire, pour les slogans démagogiques de la préférence nationale ou des politiques sécuritaires qui assument à l’extrême droite ses succès électoraux dans les couches populaires.

Il est urgent de mettre fin à ces méfiances irraisonnées, débouchant trop souvent sur des attitudes xénophobes et un racisme qui tend à se banaliser. Cela ne se fera qu’en recréant une véritable solidarité qui ne peut trouver de sens qu’au travers des valeurs de la République, à commencer par le combat pour légalité en droit de tous ceux qui vivent sur son territoire.

Il faut aussi lutter sans relâche tout à la fois pour la sauvegarde des libertés individuelles et la défense des droits sociaux entre lesquels il ne doit exister aucune hiérarchie. Il faut continuer à agir pour la laïcité, principal rempart contre les tentatives de retour à l’ordre moral, les dérives sectaires et la menace des intégrismes.

Il n’existe pas de finalité de la crise sociale et nous ne saurions accepter l’idée trop communément admise que la situation sociale ne serait que la conséquence inéluctable d’une économie de marché triomphante et de phénomènes de mondialisation sur lesquels les citoyens n’ont pas de prises.

Trois voies peuvent être ouvertes. Il faut instaurer les fondements d’une véritable justice sociale, construire l’Europe autrement et trouver les nouvelles voies de la citoyenneté.

Instaurer les fondements d’une véritable justice sociale.

Rien ne pourra être fait si des dispositions efficaces ne sont pas prises pour faire reculer le chômage. Il est urgent que des négociations s’engagent entre les partenaires sociaux et le gouvernement, notamment sur les conditions de la réduction du temps de travail.

Avec l’égalité dans l’accès aux soins la protection sociale est un droit pour tous, elle doit donc devenir effective. Les contributions liées au travail restent indispensables mais le recours à une fiscalisation partielle des recettes est nécessaire. L’impôt n’est juste que s’il est progressif et s’il porte également sur les revenus du capital. Le combat pour la justice fiscale est un élément du combat pour la justice sociale.

Construire l’Europe autrement

La construction européenne ne prend pour nous de signification que si elle accroît l’espace des droits, élargit le champ des solidarités et permet de donner à la citoyenneté une nouvelle dimension. C’est avec les militants des droits de l’homme, les organisations syndicales et politiques et les mouvements associatifs des autres pays européens que nous entendons combattre pour atteindre ces objectifs.

Trouver des voies nouvelles pour la citoyenneté

La défense de tous les droits, de toutes les libertés dans l’urgence est une exigence quotidienne. Elle ne peut s’inscrire que dans le développement simultané de l’exercice de toutes les formes de citoyenneté.

Ainsi :

Les droits des femmes ne seront défendus que par des luttes solidaires de militantes et de militants contre ceux qui aujourd’hui remettent en cause les acquis, et par la conquête de droits nouveaux assurant une véritable égalité, en particulier dans la participation aux mécanismes de la vie publique.

Les droits des étrangers ne doivent pas être défendus uniquement sur le front de cette chasse impitoyable que mènent actuellement contre eux les autorités. Non seulement il faut réaffirmer la revendication du droit de vote, mais il faut encore développer des espaces d’expression, de culture, de pouvoirs réunissant tous ceux qui, résidant ensemble, connaissent les mêmes problèmes, qu’ils soient français ou étrangers.

L’obstination à combattre l’insécurité par des contrôles d’identité massifs et sélectifs, le maintien du plan Vigipirate, la militarisation sournoise de la société, le recours à la seule répression et à l’enfermement carcéral ne feront qu’exacerber les tensions. A l’inverse, il convient de renforcer le sens des responsabilités civiques, d’instaurer plus de justice dans l’école publique, et de mieux reconnaître sa mission éducative. Les politiques de prévention et d’insertion, et le développement de pratiques associatives doivent être relancées. De manière générale, l’individualisme, la réduction du lien social à un rapport de pure compétition marchande, aggrave chaque jour a crise sociale actuelle. De ce point de vue le service public constitue un outil irremplaçable d’intégration et de cohésion sociale, qu’aucun gouvernement ou majorité ne peut menacer ou affaiblir impunément, et qu’il convient au contraire de développer.

Ce n’est que par l’action collective de tous ceux qui vivent dans la cité qu’on peut défendre et élargir le champ des droits de l’homme, reconstruire des liens indispensables de solidarité, et mettre fin aux méfiances et aux peurs.

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