1994 – Résolutions adoptées lors du 74ème congrès à Chambéry (10 avril) – Résolution générale

Lors du congrès d’Aubervilliers, au lendemain de l’effondrement des forces politiques se réclamant de la gauche, la LDH avait formulé un diagnostic sombre tant sur l’avenir des droits des étrangers et des libertés publiques que sur l’ampleur de la crise civique. Non seulement la société nous apparaissait profondément fracturé, non seulement ces fractures ne parvenaient plus à trouver d’expression politique, mais les ressorts même de la citoyenneté étaient atteints. Pour faire face à un phénomène qui ne s’ancrait pas dans la seule défaite électorale, nous avions proposé de promouvoir le concept de citoyenneté sociale et de réfléchir à la rénovation du service public

Plusieurs constatations s’imposent aujourd’hui :

– Les attaques contre les droits des étrangers qui ouvrent la voie aux attaques contre tous les droits ont pris une ampleur sans précédent au point de mettre en cause l’état de droit. Les objectifs communs aux hommes politiques qui soutiennent messieurs Balladur, Méhaignerie et Pasqua et aux amis de M. Le Pen ont été largement atteints sans que l’opinion publique prenne conscience, malgré nos efforts, de leurs implications. Le soupçon jeté sur les étrangers, les modifications apportées au Code de la nationalité habituent les Français à des distinctions contraires à la tradition républicaine et nourrissent un risque d’ « ethnicisation » de la conscience nationale. La défaite subie lors de la campagne pour le droit de vote des étrangers a été lourde de conséquences.

– Le réveil de la conscience républicaine s’est en revanche manifesté avec éclat le 16 janvier en faveur de l’école de la République, ce creuset de la conscience nationale et citoyenne. Pour la première fois, depuis de longues années, les possibilités sont apparues d’un renouveau des forces favorables au service public qui a pour vocation de corriger le inégalités, de réduire au minimum les déchirures sociales.

– La réaction de la jeunesse contre le « SMIC jeunes » s’est exprimée par des mouvements d’une grande ampleur révélateurs d’une prise de conscience politique. Les aspects parfois violents de ces manifestations traduisent un profond désarroi d’une partie de cette jeunesse qui se sent exclue de la vie sociale et de ce fait dépossédée de la citoyenneté.

– La large diffusion du concept de citoyenneté sociale a mis en lumière la capacité de la Ligue à réfléchir aux causes actuelles de notre maladie civique : le chômage n’est pas seulement la principale source des exclusions (des millions de personnes se trouvent aujourd’hui en situation de sous-droits), il détruit les pratiques de citoyenneté, il tue le citoyen. La Ligue a mis en place, notamment en direction de syndicats, des pratiques militantes fortes, qui ont souligné son pouvoir novateur et rassembleur.

Dès lors, la LDH appelle aujourd’hui ses militants et tous ceux qui sont attachés aux droits de l’homme et à leur garant principal, la citoyenneté, à se mobiliser autour de trois axes d’intervention :

– La recherche de voies nouvelles pour mieux assurer la défense des étrangers, pour mieux promouvoir notre conception du lien civique. Il y a lieu par exemple d’exiger, avec les syndicats, les organisations de parents, et les représentants d’élèves que l’enseignement public puisse jouer pleinement son rôle dans l’intégration et l’émancipation des enfants de tous milieux et de toutes origines, ces enfants entre lesquels aucune discrimination n’est concevable. Il y a lieu de dénoncer les voies par lesquelles le pouvoir alimente une vie clandestine qu’il prétend combattre : la mise en œuvre de nouveau code de la nationalité ne va-t-elle pas rejeter dans la clandestinité ceux des adolescents qui refuseront – ou qui oublieront – de faire les démarches discriminatoires désormais exigées ? Il y a lieu de recherche une pédagogie globale qui permette de passer de la compassion pour les individus à la compréhension des réalités.

– Autour de la citoyenneté sociale, le renforcement de la capacité de la Ligue à intervenir en militant activement avec les mouvements attachés au droit du travail, à l’égalité des hommes et des femmes, frappée de suspicion par les projets « familialistes », au droit au logement, à la lutte contre le chômage et la grande misère, en mettant en avant les propositions nécessitées par la crise que nous vivons (développement des services publics, diminution du temps de travail, etc.) et en produisant des analyses ouvertes sur l’avenir.

– L’exploration, dans le cadre d’une réflexion laïque, de questions de société que nous avons peu débattues jusqu’à présent mais qui touchent au cœur les jeunes générations : le statut de l’embryon utilisé par la papauté et divers milieux réactionnaires pour combattre le libre choix d’avoir ou non des enfants et pour interdire de nouvelles recherches ; le plein respect des droits des personnes dans la lutte contre la toxicomanie ; la tragédie du sida qu’il faut aborder en évitant toutes les discriminations et en luttant contre les dérives médiatiques et commerciales.

Mieux alerter la société sur les dangers nouveaux qui la menacent, porter plus haut la défense des droits, contribuer à combler la faille qui s’est ouverte entre « les hommes » et « les citoyens », approfondir encore la citoyenneté sociale, telles seront en 1994 les tâches principales de la LDH.

Nous pourrons ainsi répondre au sentiment d’injustice qui s’empare confusément de très nombreuses personnes, nous pourrons combattre plus efficacement le système social et politique qui est en train de se mettre en place, nous pourrons orienter les citoyens vers des voies plus conformes aux leçons que nous tirons des grandes campagnes conduites depuis l’avènement de la République et notamment depuis l’Affaire Dreyfus.

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