1992 – Résolution adoptée lors du 72ème congrès à Strasbourg (7, 8 et 9 février) – Résolution générale

Alors que la construction européenne s’apprête à franchir une nouvelle étape et que s’ouvre en France une période de fréquentes consultations électorales, deux phénomènes majeurs doivent être notés : l’ampleur croissante, à toutes les élections, de l’abstentionnisme ; la tendance de l’Europe à se constituer en espace des exclusions par l’élaboration, visible avec éclat dans les accords de Schengen, d’une citoyenneté européenne interdite aux non-communautaires et par les résistances à une Europe sociale et démocratique. C’est face à ces deux orientations que la LDH entend situer son action en 1992.

Même s’il est évident que le civisme ne se limite pas au vote, l’abstentionnisme qui a acquis aujourd’hui une importance inégalée dans l’Histoire de la République doit être perçu dans toutes ses dimensions. Il joue en faveur des forces les plus xénophobes, les plus hostiles à l’inégalité des droits, les plus favorables à toutes les exclusions sociales, sexuelles et ethniques. Il affaiblit gravement des liens sociaux déjà atteints par le chômage et par le mal-vivre. Il rejaillit sur l’ensemble du réseau associatif. Or il n’est pas du tout certain que cette abstention atteste un rejet essentiel du politique. Il s’agit bien plutôt d’une manière de réponse politique exprimée par ceux, de plus en plus nombreux, qui en deviennent à refuser des pratiques qualifiées de « magouilles » ou des choix brouillés par la vaine recherche du consensus et la quête de la « popularité » : le discours sur les immigrés et l’immigration, la mise en avant de la « rentabilité d’entreprise » dans les services publics en particulier l’audiovisuel, en sont les signes les plus marquants.

Les origines profondes de cette crise ne sont pourtant pas propres à la France. Si la perspective des libertés ouverte par l’effondrement des partis6Etats se réclamant du communisme a montré que rien ne pouvait se bâtir sans le respect des droits de l’homme et du citoyen, elle est loin de s’accompagner d’une poussée générale de la démocratie et, du coup, ce sont les repères de la gauche qui sont atteints. Si l’avènement des Etas-Unis somme unique super puissance militaire et politique a aidé la première ébauche d’un dialogue palestino-israélien, ce dont nous nous félicitons, il a contribué à l’effacement de l’ONU comme lieu de régulation des conflits et il a eu tendance à approfondir le fossé Nord-Sud de part et d’autre de la Méditerranée. Si la mondialisation de l’économie favorise l’expansion universelle du libéralisme économique, elle contribue à affaiblir le pouvoir d’intervention des états, garants des services publics et de la protection sociales. Bref, les pistes se couvrent de broussailles et les repères d’opacité.

Mieux vaut ne se dissimuler aucune de ces données, tout particulièrement celles sur lesquelles nos prises sont faibles, si nous voulons éviter les appels rhétoriques – « Tous aux urnes ! »- à l’heure où la LDH doit fixer ses objectifs immédiats. Nourris de nos convictions, ceux ci sont nécessairement marqués par l’analyse que nous faisons de la conjoncture et les priorités qu’il nous semble possible et nécessaire de dégager.

La LDH agira dans trois directions principales.

Nous agirons pour que le gouvernement de la République.

-mette en œuvre une réforme constitutionnelle conforme aux vœux anciens de la LDH, réactivés lors de son congrès de 1987 : cette réforme doit reposer sur trois orientations essentielles : le rééquilibrage des pouvoirs au bénéfice du Parlement, la représentation au PARlement de tous les courants d’opinions constitués mesures qui seules peuvent permettre au peuple français de retrouver confiance en ses élus et une réforme du Conseil Supérieur de la Magistrature permettant d’assurer une plus grande indépendance et une plus grande impartialité de l’Autorité judiciaire.

-ouvre à tous les résidents du référendum d’initiative locale, reconnaissance le droit de vote des résidents étrangers à toutes les élections locales, assure la participation des habitants aux actions de développement local,

-renonce aux procédés réglementaires, et législatifs, par lesquels il est porté atteinte aux droits sacrés des demandeurs d’asile : visas de transit, obligations imposées aux transporteurs, interdiction de travail à ceux qui attendent la décision de l’OFPRA ou de la Commission de Recours, refus de l’aide juridique, rétention administrative dans des « zones de transit » sans aucune garantie, etc.

-exerce toutes ses responsabilités dans la lutte contre les discriminations économiques et le chômage qui sont la source de nombreuses autres formes d’exclusion.

-engage une discussion législative dans le domaine de l’éthique biomédicale afin de ne plus laisser hors du droit et sans contrôle des techniques qui peuvent porter atteinte aux droits des personnes.

-veille à garantir les acquis de la politique de prévention en matière de SIDA, notamment en ce qui concerne le dépistage volontaire anonyme et gratuit.

Nous agirons auprès des divers réseaux associatifs pour qu’ils s’investissent :

-dans une approche renouvelée des services publics dont une récente tragédie (l’affaire du sang contaminé), la « relégation » des banlieues, la politique et la pratique quotidienne de l’audiovisuel, mettent en évidence la crise profonde.

-dans un effort de réflexion sur la laïcité, cette marque de « l’exceptionnalisme » français à laquelle nous sommes attachés, et de promotions de ces valeurs : nous entendons en particulier qu’elle ne soit pas détournée de sa finalité en servant à stigmatiser certaines populations.

-dans une intensification du dialogue entre associations (qu’elles soient dirigées par des nationaux ou des étrangers), mouvements de femmes et de jeunes, pour que l’intégration culturelle et sociale des exclus s’en trouve dynamisée. Cela suppose du côté des ligueurs une volonté, une pratique démocratique plus proches du quotidien. Il y a à nos yeux un enjeu majeur.

Nous agirons auprès des citoyens pour que, avec la LDH :

-ils veillent aux acquis démocratiques des années 80 : abolition de la peine de mort, mise en œuvre hospitalière de l’IVG, remboursement de la contraception, RMI de dépénalisation de l’homosexualité, droits des handicapés, etc.

-ils prennent clairement conscience, au-delà des propos fallacieux, es bases programmatiques des alliances entre la droite et l’extrême droite et ils impulsent le sursaut de tous les démocrates, face à la volonté manifeste de racisme et de pratiques vichystes proclamées, par le Front National.

-ils échappent au frileux repli sur soi, maintiennent en Europe la tradition française des droits et de la République, éclairent les responsabilités, envers le Sud, d’un continent riche e ressources et en traditions démocratiques, mais aussi terre natale des conquêtes coloniales, et se penchent d’urgence sur le problème, devenu aujourd’hui mondial, des minorités nationales.

Pour être née au cœur de l’Affaire Dreyfus, la LDH sait bien que les mouvements les plus importants de notre histoire ne se sont pas toujours inscrits au départ dans un moment d’ardent civisme électoral. Les dreyfusards furent longtemps des marginaux, certes républicains mais qui se reconnaissaient difficilement dans les formations politiques de la République opportuniste. Pourtant la citoyenneté en sortit renouvelée, le syndicalisme mieux assuré, les grands partis de la gauche enfin fondés, la séparations de l’Eglise et de l’Etat bientôt acquise, c’est à dire que l’abstentionnisme électoral en vogue aujourd’hui en doit pas nous inciter à désespérer. Bien plutôt à élever et à élargir la riposte.

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