15 juin 2023 – Tribune “Pénurie de médicaments nécessaires aux IVG : pour une politique de relocalisation en urgence” publiée dans l’obs

Tribune collective signée par Françoise Dumont, présidente d’honneur de la LDH

Lire la tribune dans L’Obs

Pour prévenir toute pénurie de mifépristone et de misoprostol, molécules utilisées pour les IGV médicamenteuses, le collectif « Avortement Europe : les femmes décident » demande, dans une tribune à l’Obs, à ce que leur production, commercialisation et distribution soient effectives et garanties par l’Etat.

Le président Macron a fait l’annonce d’une relocalisation de la production d’une liste de médicaments dits essentiels sur le territoire français dans les semaines ou mois qui viennent. Le collectif « Avortement Europe : les femmes décident » sera extrêmement vigilant sur l’accès à l’ensemble des médicaments et en particulier aux molécules nécessaires aux IVG.

Fragilité de la chaîne de production et fluctuation d’approvisionnement au gré des conservatismes politiques ou des situations géopolitiques expliquent cette situation de pénurie spécifique. Revenons sur l’histoire.

Les actions contre des médicaments abortifs ne sont pas nouvelles.
Déjà en 1988, bien après le rachat du laboratoire français Roussel-Uclaf par le groupe allemand Hoechst, la RU-486 ou mifépristone, découverte à la suite des travaux du professeur Etienne-Emile Baulieu, a failli disparaître de la pharmacopée.

En effet, le groupe allemand ciblé par les mouvements anti-IVG avait décidé de stopper la production de la mifépristone. En France, les mobilisations féministes et l’intervention rapide du gouvernement avec la prise de position du ministre de la santé Claude Evin avaient conduit au maintien de la production et de la commercialisation du RU-486.

En 1997, le laboratoire Hoechst s’est débarrassé de cette molécule « polémique » en la cédant au docteur Edouard Sakiz, codécouvreur et ancien président de Roussel-Uclaf : c’était l’ouverture du laboratoire Exelgyn France.

Aujourd’hui, la mifépristone est une production et commercialisation française, autorisée dans plus de 57 pays (certains comme la Chine la fabriquent).

L’histoire peut se répéter comme nous le montre la volonté d’un juge texan aux Etats-Unis en avril 2023 d’interdire aux laboratoires la production de la mifépristone, permettant l’avortement.

Cela met en exergue la fragilité des droits des femmes et de leur accès aux soins.
Autre exemple. Le misoprostol a été commercialisé en France depuis 1987 par Pfizer sous le nom Cytotec dans la protection gastrique. Rapidement utilisé pour la réalisation d’IVG médicamenteuses et dans d’autres indications gynécologiques, au Brésil puis dans le monde, ce médicament a été retiré du marché français en 2018, Pfizer n’ayant jamais souhaité étendre l’indication à une utilisation gynécologique et donc cautionner l’avortement. La mise sur le marché du misoprostol dans les indications gynécologiques a été donnée à Nordic Pharma (Gymiso) et Exelgyn (MisoOne).

Mais la production et la commercialisation du misoprostol sont sous le contrôle d’un seul laboratoire, Nordic Pharma, initialement suédois et devenu international, ce qui rend l’accès à ce médicament fragile. Nous avons vécu pendant plusieurs semaines au printemps une pénurie d’approvisionnement en médecine de ville de cette molécule. L’Agence nationale de Sécurité du Médicament (ANSM) a annoncé la fin de cette pénurie mais quels moyens pour prévenir la prochaine ?

Nous nous questionnons sur la poursuite de l’histoire de ces deux médicaments essentiels, car, en France, en 2021, il y a eu 223 000 IVG dont 72% médicamenteuses. Une femme sur trois a recours à l’IVG durant sa vie.

Alors que le misoprostol a été mis sur le marché en France en 1987 et la mifépristone en 1988, trente-cinq ans plus tard, aucun générique n’a encore vu le jour, du fait des changements d’indication et de formulation. Ceci n’est pas la règle pour la majorité des médicaments. Pourquoi, alors que de très nombreux médicaments brevetés issus de la recherche sont, au cours des années, entrés dans le domaine public, les deux molécules concernées, mifépristone et misoprostol, ne bénéficient-elles pas de cette possibilité ? Pourquoi ne sont-elles pas déclarées patrimoine commun de l’humanité ?

L’acharnement des antiavortements contre les droits des femmes peut empêcher l’accès aux soins, en faisant pression sur les laboratoires producteurs ou commercialisant ces molécules, si d’autres laboratoires ne peuvent pas y remédier. Les droits des femmes ne peuvent pas fluctuer au gré des conservatismes politiques et le droit à l’avortement reste une lutte éminemment politique de par le monde pour les droits humains.

Nous demandons donc que la France et l’Europe aient le courage de développer une politique publique de production des médicaments essentiels, de premier recours, pour éviter toute pénurie et rupture d’accès aux soins. Cela passe par la création d’établissements pharmaceutiques nationaux et européens avec financement public qui produiront, diffuseront les médicaments et géreront la constitution des stocks ainsi que leur maintien. L’ANSM n’a pas jusqu’à présent ce rôle.

En ce qui concerne mifépristone et misoprostol, nous demandons que la production de ces médicaments soit relocalisée en urgence, que la liste des 25 premiers médicaments promis par le président soit étendue avec des engagements fermes sur cette priorité. Le respect des droits des femmes et du droit à l’avortement exige que ces médicaments soient reconnus comme essentiels, de premier recours en accord avec la liste déjà existante des médicaments de l’OMS et que leur production, commercialisation et distribution soient effectives et garanties par l’Etat.

Premiers signataires : Zahra Agsous, Maison des Femmes de Paris ; Marie-Astrid Bernon, Association nationale des Sages-Femmes orthogénistes ; Sophie Binet, CGT ; Chantal Birman, Association nationale des Centres d’IVG et de Contraception ; Soad Baba-Aissa, Femmes solidaires ; Sonia Casagrande, collectif féministe Les Dyonisiennes ; Amandine Cormier, Fédération syndicale unitaire ; Penny Duggan, Nouveau Parti anticapitaliste ; Françoise Dumont, LDH (Ligue des droits de l’Homme) ; Sarah Durocher, Planning familial ; Julie Ferrua, Union syndicale Solidaires ; Danielle Gaudry, Planning familial 94 ; Michèle Leflon, Coordination nationale des Comités de Défense des Hôpitaux et Maternités de Proximité ; Dominique Marchal, Confédération française démocratique du Travail ; Nelly Martin, Marche mondiale des Femmes ; Françoise Nay, Notre Santé en Danger ; Clémentine Pénicaud, Osez le Féminisme ; Josée Pépin, Collectif CIVG Tenon ; Suzy Rojtman, Collectif national pour les Droits des Femmes ; Nora Tenenbaum, Coordination des Associations pour le Droit à l’Avortement et la Contraception.

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