12 décembre 2005 – Colonialisme
Démons français – Les discriminations n’excusent pas tout. Lutter contre les séquelles du colonialisme n’autorise pas les discours antisémites.

Pour autant, ce dévoiement n’a rien de fatal. Il est encore temps de le dénoncer très vigoureusement et de se mobiliser contre son potentiel destructeur. En l’occurrence, il faut aussi le dire avec force, les « intégristes de la République », qui tirent argument des dérives antisémites pour minimiser la part d’ombre de l’héritage républicain et nier la nécessité de construire un récit partagé de l’histoire coloniale, ne seront d’aucun secours. Car leur aveuglement nourrit souvent un discours du complot (islamiste en espèce) – voire parfois un discours de haine de l’autre « basané » – symétrique de celui que nous dénonçons ici. Le pire des cauchemars serait celui d’un débat public où ne s’échangeraient plus que des arguments « à la Dieudonné » ou « à la Finkielkraut », recourant aux mêmes procédés – falsifications, dénégations, occultations – et se nourrissant mutuellement.

La France, heureusement, ne manque pas d’historiens, de sociologues, de politologues – dont beaucoup sont « issus de l’immigration » – à même d’apporter leur contribution à la lutte contre le double poison de la dérive antisémite et de la dégénération coloniale. Leur rôle, certes, n’est pas d’intervenir « pour » ou « contre » telle ou telle revendication mémorielle. Ils n’ont pas à choisir, par exemple, entre la mémoire des descendants des esclaves des Antilles et celle des colons français expulsés d’Haïti après l’indépendance de 1804. Pas plus qu’ils n’auraient à choisir entre la mémoire des rapatriés d’Algérie et celle des descendants d’Algériens ayant lutté avec le FLN. Il est essentiel d’éviter le piège mortifère de la « concurrence des victimes », car il n’y a pas de hiérarchie à établir dans le degré de souffrance, pas plus qu’il n’y a de hiérarchie à reconnaître entre les différentes formes de racisme. Mais nous sommes convaincus que tous, intellectuels, politiques et simples citoyens, dès lors qu’ils sont sincèrement attachés à la cause de la démocratie, peuvent et doivent participer à la renaissance d’une République enfin débarrassée de ses démons coloniaux. Et que ce combat ne pourra être gagné que s’il accorde le même poids à la lutte contre les démons de l’antisémitisme.

  

 

Salah Amokrane, Nicolas Bancel, Esther Benbassa, Hamida Bensadia, Pascal Blanchard, Jean-Claude Chikaya, Suzanne Citron, Maryse Condé, Catherine Coquery-Vidrovitch, Yvan Gastaut, François Gèze, Nacira Guénif-Souilamas, Didier Lapeyronnie, Sandrine Lemaire, Gilles Manceron, Carpanin Marimoutou, Achille Mbembe, Laurent Mucchielli, Pap Ndiaye, Benjamin Stora, Christiane Taubira, Françoise Vergès, Pierre Vidal-Naquet, Michel Wieviorka.

Paris, le 6 décembre

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