1936 : COMPLEMENT DE LA LDH A LA DECLARATION DES DROITS DE L’HOMME

LE COMPLÉMENT À LA DÉCLARATION DES DROITS DE L’HOMME ÉLABORÉ PAR LA LDH EN 1936Texte mal connu, voire oublié, l’additif aux déclarations françaises des droits de l’Homme de 1789 et 1793 élaboré par la LDH à son congrès de Dijon de juillet 1936, est un texte qui, s’il n’a pas connu de traduction institutionnelle immédiate, a joué, dix ans plus tard, aux lendemains de la Seconde guerre mondiale, un rôle important dans les nouvelles définitions des droits de l’Homme en France comme à l’échelle mondiale. Ce complément, préparé en 1936 par une commission de la LDH dont le rapporteur était René Georges-Étienne, membre de son Comité central, précise pour la première fois explicitement que les droits s’appliquaient « sans distinction de sexe, de race, de nation, de religion ou d’opinion ». Il évoque le « droit de l’enfant », le « droit de la femme » et le « droit à la culture ». Entre autres points nouveaux, il évoque la liberté de la presse par rapport aux « puissances d’argent » ; sur la propriété, il précise qu’elle ” n’est un droit que lorsqu’elle ne porte aucun préjudice à l’intérêt commun ” et il met en cause la colonisation. Dans le domaine économique et social, il élargit les droits de l’Homme aux domaines du travail et de la protection sociale. Et, au niveau international, il préconise l’organisation d’une garantie des droits pour les citoyens de chaque État et d’une juridiction dont les décisions seraient obligatoires pour les États.

En octobre 1945, lorsqu’on prépara les institutions de la Quatrième république, une commission présidée par André Philip, membre de la LDH, puis par le futur président du conseil Guy Mollet, rédigea un premier projet, précédé d’une nouvelle déclaration des droits de l’Homme. Lors du débat à l’Assemblée constituante, le 8 mars 1946, ce dernier déclara, face à un contre-projet défendu par Edouard Herriot, également membre de la LDH, qui reprenait fidèlement le texte élaboré par la Ligue en 1936 : « Notre commission s’est largement inspirée du texte rédigé par la Ligue des droits de l’Homme en 1936. Elle a travaillé avec ce texte sous les yeux ».

Le premier projet de constitution une fois repoussé par référendum en avril 1946, pour des raisons étrangères à la déclaration qui l’ouvrait, un nouveau projet fut rédigé et adopté par référendum en octobre 1946, avec, cette fois, non pas une déclaration des droits mais un préambule, où, là aussi, l’influence du texte de la LDH de 1936 se fait sentir. Comme on le verra, il rejette lui aussi la discrimination selon la race, reprend explicitement l’égalité dans tous les domaines de l’homme et de la femme et énonce des droits nouveaux dans les domaines économiques et sociaux.

En même temps, par l’intermédiaire de René Cassin, le texte de la LDH de 1936 a servi de référence lors de la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. René Cassin, membre de la Ligue des droits de l’homme depuis 1921 et qui participait au congrès de Dijon de 1936, a été élu au Comité central de la LDH lors de son premier congrès de l’après-guerre, en juillet 1947. Or, peu avant, le 16 juin 1947, il avait présenté un projet de Déclaration universelle des droits de l’Homme qui s’inspirait des travaux de la LDH en 1936, devant la commission des droits de l’homme des Nations Unies constituée en mai 1946 et présidée par Eleanor Roosevelt, la veuve du président américain, dont il était membre et qui était chargée de préparer ce texte.

Ainsi, le texte du congrès de juillet 1936 de la Ligue des droits de l’Homme a été l’une des références et l’une des bases lors de la rédaction de deux des textes fondamentaux les plus importants d’aujourd’hui, l’un français, et l’autre universel, en matière de droits de l’Homme.

Les droits de l’Homme « droits naturels, inaliénables et sacrés », ont été inscrits dans la Déclaration de 1789. Les principes en ont été confirmés et étendus dans le projet de Robespierre, adopté par les Jacobins en avril 1793, et par la seconde Déclaration des droits, votée par la convention nationale le 19 mai 1793.

Ces principes ont fondé la démocratie politique. Mais l’évolution sociale posant des problèmes nouveaux, les progrès des sciences et des techniques permettant des solutions neuves, ces mêmes principes doivent par l’abolition de tous les privilèges fonder la démocratie économique.

Art. 1. – Les droits de l’être humain s’entendent sans distinction de sexe, de race, de nation, de religion ou d’opinions. Ces droits, inaliénables et imprescriptibles, sont attachés à la personne humaine ; ils doivent être respectés en tout temps, en tout lieu et garantis contre toutes les formes politiques et sociales de l’oppression. La protection internationale des droits de l’Homme doit être universellement organisée et garantie de telle sorte que nul Etat ne puisse refuser l’exercice de ces droits à un seul être humain vivant sur son territoire.

Art. 2. – Le premier des droits de l’Homme est le droit à la vie.

Art. 3. – Le droit à la vie comporte le droit de la mère aux égards, aux soins et aux ressources que nécessite sa fonction, le droit de l’enfant à tout ce qu’exige sa pleine formation physique et morale, le droit de la femme à la suppression intégrale de l’exploitation de la femme par l’homme, le droit des vieillards, malades, infirmes, au régime que réclame leur faiblesse, le droit de tous à bénéficier également de toutes les mesures de protection que la science rend possibles.

Art. 4.– Le droit à la vie comporte :

1 – Le droit à un travail assez réduit pour laisser des loisirs, assez rémunérés, pour que tous aient largement part au bien être que les progrès de la science et de la technique rendent de plus en plus accessibles, et qu’une répartition équitable doit et peut assurer à tous ;

2 – Le droit à la pleine culture intellectuelle, morale, artistique et technique des facultés de chacun ;

3 – Le droit à la subsistance pour tous ceux qui sont incapables de travailler.

Art. 5. – Tous les travailleurs ont le droit de concourir personnellement ou par leurs représentants à l’établissement des plans de production et de répartition, et d’en surveiller l’application de telle sorte qu’il n’y ait jamais l’exploitation de l’homme par l’homme, mais toujours juste rémunération du travail et utilisation pour le bien de tous, des puissances de création exaltées par la science.

Art. 6. –La propriété individuelle n’est un droit que lorsqu’elle ne porte aucun préjudice à l’intérêt commun. L’indépendance des citoyens et de l’Etat étant particulièrement menacée par la propriété qui prend forme de groupements d’intérêts égoïstes et dominateurs (cartels, trusts, consortiums bancaires), les fonctions que cette propriété a usurpées doivent faire retour à la nation.

Art.7. – La liberté des opinions exige que la presse et tous les autres moyens d’expression de la pensée soient affranchis de la domination des puissances d’argent.

Art. 8. – Les fautes commises contre la collectivité ne sont pas moins graves que les fautes commises contre les citoyens.

Les représentants du peuple et les fonctionnaires investis par la nation d’un pouvoir de direction ou de contrôle sur l’économie, ne peuvent avoir aucun intérêt, accepter aucune place, aucune rémunération, aucun avantage quelconque dans les entreprises qui sont ou ont été soumises à leur surveillance.

Art. 9. – Toute nation a des droits et des devoirs à l’égard des autres nations avec lesquelles elle constitue l’Humanité. Organisée dans la liberté, la démocratie universelle doit être l’objectif suprême des nations.

Art. 10. – Les droits de l’Homme condamnent la colonisation accompagnée de violence, de mépris, d’oppression politique et économique.

Ils n’autorisent qu’une collaboration fraternelle poursuivie en vue du bien commun de l’Humanité, dans le respect de la dignité personnelle et de toutes les civilisations.

Art. 11. – Le droit à la vie implique l’abolition de la guerre.

Art. 12. – Il n’est pas de circonstance où un peuple soit excusable d’en provoquer un autre. Tous les différends doivent être réglés soit par la conciliation, soit par l’arbitrage, soit par une juridiction internationale dont les sentences doivent être obligatoires. Tout État qui se soustrait à l’observation de cette loi se met en dehors de la communauté internationale.

Art. 13. – Les nations forment entre elles une société.

Tout peuple attaqué a le droit d’appeler la collectivité internationale à concourir à sa défense.

Tous les peuples ont le devoir de se porter au secours du droit violé.

Art. 14. – Tous ces droits se fondent dans le devoir de la société, qui est de combattre, sous toutes ses formes, la tyrannie ; de former des citoyens ; de travailler au progrès intellectuel et moral, ainsi qu’au bien-être des individus et des peuples : de leur enseigner l’esprit de paix et la tolérance ; et d’appeler sur la Terre, à l’exemple de la Révolution française, le règne de la raison et de la fraternité.

(Adopté à l’unanimité moins 8 voix contre et 27 abstentions.)

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