Sur l’assistance en fin de vie

Il incombe aujourd’hui à la société de dire au législateur comment elle entend relever, dans le respect des droits de l’Homme, le défi éthique de la tension entre la nécessité de voir la vie protégée par l’Etat et la volonté de l’individu d’en disposer librement.

Les nouvelles thérapeutiques développées par la médecine pour traiter les maladies aiguës ou chroniques ainsi que la prise en charge de plus en plus efficace de lésions accidentelles sont parmi les causes qui ont permis un allongement spectaculaire de la durée de vie dans les sociétés développées tandis que les techniques de réanimation permettent, au prix parfois d’une dépendance quasi totale à certains appareils, de maintenir longtemps une vie défaillante : il est devenu ainsi possible, dans certaines limites, d’influencer le moment de la mort. Dès lors que la majorité des personnes fortement malades ou grièvement blessées meurent à l’hôpital, la population se trouve de plus en plus confrontée à cette nouvelle « liberté » à l’égard de la mort, alors qu’elle a progressivement acquis de nouveaux droits en tant que patient, tel en particulier celui, reconnu par l’article 36 du Code de déontologie médicale, de voir respecter un refus de consentement à tout acte médical ou à tout traitement.

Devant les nouvelles possibilités de la médecine, beaucoup d’individus souhaitent que soit aussi garanti leur droit à l’autodétermination quant à leur mort, car ils sont angoissés en imaginant une mort interminablement retardée par la mise en œuvre de techniques et d’appareils médicaux ou une vie purement végétative qu’ils imposeraient à leurs proches ; dans le même temps l’état actuel de la législation et l’insécurité juridique qui en découle suscitent chez les médecins des craintes quant à d’éventuelles conséquences pénales de leurs actes.

Parce que ces soins convenablement conduits permettent dans la plupart des cas d’éviter qu’un patient émette le désir de mourir, la LDH veut insister en premier lieu sur la nécessité d’améliorer encore la lutte contre la douleur et de développer sur tout le territoire le dispositif des soins palliatifs et de l’accompagnement. Cela nécessite d’une part des moyens et du temps pour un personnel médical mieux formé, d’autre part une meilleure information du public sur les possibilités existantes et sur les droits reconnus aux patients.

La LDH souhaite que les organisations représentatives du corps médical et des professions paramédicales s’expriment sur les cas d’abstention ou d’arrêt de mesures de survie jugées inutiles (ce qui caractérise une euthanasie dite passive qui peut aussi être considérée comme non assistance à personne en danger), comme sur les cas de mise en œuvre de traitements antalgiques à doses suffisantes pour combattre des douleurs insupportables même si celles-ci peuvent avoir pour effet secondaire de raccourcir la vie du patient (ce qui caractérise une euthanasie dite active indirecte où la théorie du double effet sert de repérage éthique, mais qui peut aussi être poursuivie comme homicide involontaire) ; il leur appartient de dire clairement que de telles décisions relèvent d’une bonne pratique médicale si elles sont prises de façon collégiale et transparente. Cela ne devrait pas conduire à laisser aux mains des seules autorités médicales l’établissement des limites qu’il convient d’apporter à ces actes médicaux. Un Etat démocratique ne peut, en raison des conséquences pour l’individu et la société, se décharger de sa responsabilité. Aussi appartiendrait-il au législateur de fixer dans le Code de la santé publique les règles déontologiques permettant d’accomplir ces actes ; il devrait renvoyer pour leur application à un décret fixant les règles de procédure à respecter dans chaque cas particulier (personnes majeures capables ou incapables de discernement, personnes mineures ou interdites, capables ou non de discernement, nouveaux-nés) et statuant sur la place à accorder à des directives anticipées rédigées par le patient et sur le rôle d’une « personne de confiance ».

Pour autant, la LDH ne méconnaît pas le fait qu’existeront toujours des situations exceptionnelles dans lesquelles les conditions de la survie, l’intensité et l’incurabilité des souffrances physiques ou psychiques, la durée de l’agonie ne sont plus compatibles tant avec l’autonomie, reconnue comme l’expression de la liberté la plus intime et la plus essentielle, d’une personne qu’avec son sentiment de la dignité de sorte qu’une euthanasie active directe (mort provoquée délibérément) sera demandée au nom de la compassion humaine et de la liberté. Il lui parait illusoire de penser que la réalisation d’un tel acte représenterait uniquement l’accomplissement de la volonté du patient et serait sans conséquence tant pour le rôle et l’autonomie de la personne accomplissant l’acte que pour toute la société. Elle rappelle d’une part que la volonté de la personne ne saurait rendre à elle seule licite l’acte d’autrui mettant fin à une vie humaine, d’autre part que le droit pénal doit accorder la protection à  toute vie humaine quelle qu’en soit la « qualité ». Aussi la LDH estime qu’il faut rappeler  la primauté de l’interdiction de tuer. Mais elle n’ignore pas que la protection absolue de la vie humaine peut, dans certains cas extrêmes et dramatiques, se transformer en un poids insupportable pour la personne qui en bénéficie.

Dans des circonstances tout à fait exceptionnelles, la loi, tenant compte du caractère transgressif de l’acte tout en lui reconnaissant une légitimité, devrait ne pas incriminer pénalement l’auteur de l’acte. Il faudrait alors créer une exception d’euthanasie par l’énoncé dans notre code pénal d’un fait justificatif qui, fondé sur le respect d’exigences éthiques, assurerait la transparence nécessaire. Ce fait justificatif devrait être apprécié par l’autorité judiciaire quant à l’existence des conditions précises de sa réalisation qui permettrait alors de constater que l’auteur de cet acte n’est pas responsable pénalement.

Il s’agit, dans tous les cas envisagés, d’assurer une sécurité juridique pour le personnel soignant (qui disposerait d’une clause de conscience) et de garantir l’égalité de tous sur l’ensemble du territoire.

La LDH affirme que la mise en œuvre d’une « permission » de la loi qui éviterait la répression pénale de la personne ayant enfreint l’interdit de tuer devrait être précédée d’un débat public approfondi et serein sur les procédures à respecter et les modalités de vérifications éventuelles a posteriori.

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