Communiqué commun LDH, la Goutte d’eau, Notre affaire à tous et Kimbé Rèd FWI
Le 10 février 2023, cinq citoyen-ne-s guadeloupén-ne-s formant le collectif de La Goutte d’eau ont sollicité le cabinet Vigo, en la personne de Me Emmanuel Daoud, pour déposer une plainte pénale contre plusieurs entités responsables de la gestion de l’eau potable en Guadeloupe. Sont visés : le Syndicat mixte de gestion de l’eau et de l’assainissement de Guadeloupe (SMGEAG), le Syndicat intercommunal d’alimentation en eau et assainissement de la Guadeloupe (SIAEAG), la Communauté d’agglomération Grand Sud Caraïbe et toute personne dont les investigations permettraient d’identifier la responsabilité quant aux infractions liées à la qualité et la potabilité de l’eau distribuée en Guadeloupe.
En deux ans, de nombreuses personnes ont rejoint le recours, ouvert à tout-e résident-e en Guadeloupe. Aujourd’hui, le nombre total des plaignant-e-s s’élève à plus de 229 personnes. La LDH (Ligue des droits de l’Homme) avait déposé un complément de plainte le 28 avril 2024, tandis que l’association Notre affaire à tous a fait part à la juridiction en juillet 2024 de son intention de se constituer partie civile.
« Il est inadmissible de constater que plus de deux ans se sont écoulés depuis le début de la plainte initiale sans que ne soient pris en considération semble-t-il les dizaines de milliers de victimes dont certaines sont des personnes vulnérables, enfants, personnes âgées ou malades. A l’évidence et sans esprit de polémique, cette inaction apparente de la justice pénale confirme pour les usagers de l’eau un déni de justice et ne laisse pas d’interroger sur le point de savoir si les justiciables guadeloupéens seraient des citoyens de seconde zone dont les droits et la protection des intérêts seraient inférieurs à ceux des administrés de départements hexagonaux » souligne Emmanuel Daoud.
« Un mois sans une goutte d’eau à Gourbeyre. Deux mois à Sainte-Rose. L’accès à l’eau potable est un droit fondamental. Pourtant, entre décembre 2024 et février 2025, des milliers de personnes dans ces deux communes ont été privées d’eau en raison de pollutions avérées au chlordécone et à l’aluminium — tout cela sans cyclone, sans grève. Et avec pour toute réponse des autorités : ni mesures d’urgence, ni voies de recours, ni annulation des factures, mais des excuses pour « la gêne occasionnée » et des menaces de saisies sur comptes. Cette situation appelle une réponse judiciaire urgente. » — Sabrina Cajoly, Fondatrice de Kimbé Rèd FWI et plaignante initiale du recours
« Le droit à l’accès à l’eau potable est vital. La casse des services publics et l’absence de prise en compte des « communs » aboutissent à dénier toute effectivité à ce droit. L’inaction judiciaire renforce le sentiment d’injustice et pour les Guadeloupéennes et Guadeloupéens, d’être laissés-pour-compte » — Nathalie Tehio, présidente de la LDH.
Le département français de la Guadeloupe subit depuis une trentaine d’années des coupures d’eau très fréquentes et prolongées, affectant l’ensemble de la population. Les récents communiqués publiés par le SMGEAG alertant sur des pénuries dans plusieurs communes témoignent de l’aggravation continue de la situation.
La potabilité de l’eau n’est pas davantage assurée, notamment au regard des niveaux élevés de chlordécone présents dans l’eau. A cet égard, un communiqué du SMGEAG du 23 août 2024[1] a reconnu que l’eau distribuée à Capesterre-Belle-Eau, Terre-de-Haut, Terre-de-bas et Trois-Rivières, dépassait les seuils autorisés de chlordécone, entrainant une interdiction de sa consommation.
La gravité de la situation est telle qu’elle a été dénoncée par les rapporteurs spéciaux des Nations unies sur les droits humains qui ont de nouveau interpellé la France, le 28 mars 2024, en l’exhortant à garantir l’accès à l’eau potable en Guadeloupe. « Un réseau vétuste, des canalisations qui fuient, des stations d’épuration défectueuses, un logiciel de facturation défaillant, entre autres dysfonctionnements, sont le résultat de nombreuses années de négligence de la part des opérateurs privés, des collectivités locales et de l’Etat », ont affirmé les experts[2].
Néanmoins, les années s’écoulent depuis le dépôt de plainte sans progrès significatif de la procédure. Les associations et collectifs appellent à une ouverture urgente de l’information judiciaire annoncée, afin de faire toute la lumière sur les responsabilités engagées.
Par ailleurs, cette procédure s’inscrit dans une actualité et un contexte juridique de plus en plus sensibles aux enjeux de pollution environnementale, renforçant la légitimité de ce recours :
- Le 11 mars 2025[3], la Cour administrative d’appel de Paris a reconnu la faute de l’Etat dans la gestion du chlordécone, condamné pour avoir autorisé et prolongé l’usage de l’insecticide, sans diligence suffisante pour évaluer, contenir ou informer sur la pollution générée. L’Etat est condamné à réparer, lorsqu’il est démontré, le préjudice moral d’anxiété des personnes durablement exposées à cette pollution. La décision de l’Etat français de se pourvoir en cassation le 9 mai contre cet arrêt reconnaissant sa responsabilité ne fait que renforcer la nécessité de cette action.[4]
- Le 30 janvier 2025[5], la Cour européenne des droits de l’Homme a condamné l’Italie pour inaction des autorités face à la pollution massive de la Terra dei fuochi, causée par l’enfouissement et l’incinération illégale de déchets toxiques par la mafia italienne. C’est la première fois que la CEDH applique l’article 2 (droit à la vie) dans une affaire de pollution environnementale et impose des mesures concrètes de nature à mettre fin à la violation constatée et en réparer les effets.
- Le 31 mars 2025, le Comité européen des droits sociaux (CEDS) a déclaré irrecevable la réclamation collective contre la France présentée par la FIDH, la LDH et l’association antillaise Kimbé Rèd F.W.I. La réclamation dénonçait les graves manquements de la France à la Charte sociale européenne concernant l’accès à l’eau potable et l’empoisonnement au chlordécone en Guadeloupe et en Martinique. Selon le Comité, en l’absence de Déclaration spécifique de la France, la Charte sociale européenne ne s’applique pas aux territoires dits d’Outremer. Si le Gouvernement s’était engagé les 8, 9 et 11 avril derniers devant l’Assemblée nationale, le Sénat et le Secrétaire général du Conseil de l’Europe, à mettre fin à cette discrimination d’ici la fin du mois d’avril, il n’en est toujours rien en ce 15 mai 2025, en dépit des recommandations de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme[6].
Dans ce contexte, la mobilisation doit continuer.
Pointe-à-Pitre et Paris, le 15 mai 2025
[1] https://www.smgeag.fr/2024/08/23/communique-interdiction-de-consommer-leau-capesterre-belle-eau-trois-rivieres-les-saintes/
[2] Communication complète disponible au lien suivant : https://www.ohchr.org/fr/press-releases/2024/03/un-experts-urge-france-guarantee-safe-drinking-water-guadeloupe
[3] https://paris.cour-administrative-appel.fr/decisions-de-justice/dernieres-decisions/exposition-au-chlordecone-en-martinique-et-en-guadeloupe-l-etat-doit-indemniser-les-victimes-qui-demontrent-un-prejudice-moral-d-anxiete
[4] https://la1ere.franceinfo.fr/guadeloupe/chlordecone-parlementaires-et-plaignants-antillais-denoncent-le-pourvoi-en-cassation-de-l-etat-juge-responsable-1586324.html
[5] https://hudoc.echr.coe.int/fre#{%22itemid%22:[%22001-241395%22]}
[6] https://www.cncdh.fr/actualite/pour-une-application-de-la-charte-sociale-europeenne-aux-territoires-ultramarins#:~:text=R%C3%A9unie%20en%20assembl%C3%A9e%20pl%C3%A9ni%C3%A8re%2C%20la%20Commission%20nationale%20consultative,de%20la%20Charte%20sociale%20europ%C3%A9enne%20aux%20territoires%20ultramarins.