Il faut sauver la Cour pénale internationale et l’Etat de droit

Communiqué commun dont la LDH est signataire

Des sources fiables indiquent que les Etats-Unis envisagent de sanctionner la Cour pénale internationale (CPI) en tant qu’institution dans les semaines à venir. Ces menaces de sanctions font suite à une série de désignations visant le Procureur de la CPI, des procureur-e-s adjoint-e-s et juges de la Cour, des ONG palestiniennes, ainsi que la Rapporteuse spéciale des Nations unies sur la situation des droits de l’Homme dans le territoire palestinien occupé. Les Etats, la société civile, les universitaires, les journalistes et tou-te-s ceux et celles qui sont engagé-e-s en faveur de la justice internationale et de l’état de droit doivent se mobiliser et faire tout leur possible pour défendre la Cour et les organisations qui soutiennent son travail.

La société civile du monde entier appelle de toute urgence les Etats parties au Statut de Rome à faire tout ce qui est en leur pouvoir, pour empêcher que des sanctions soient imposées par les Etats-Unis contre la CPI, une institution judiciaire indépendante chargée de lutter contre l’impunité pour les crimes internationaux les plus graves. Des sanctions prises unilatéralement par un Etat non partie contre la CPI constituent une attaque frontale contre cette Cour internationale soutenue par 125 Etats parties, et dont la communauté internationale dépend afin d’assurer la justice pour les crimes les plus graves. De telles sanctions priveraient d’innombrables victimes de recours. Elles entraveraient leur dernier espoir de justice, en instrumentalisant le système financier mondial pour étouffer le travail de la Cour. Elles renforceraient aussi un système de normes à deux vitesses, où le pouvoir et la politique déterminent quels survivants et survivantes méritent d’accéder à la justice.

Sanctionner la CPI marquerait un tournant dangereux dans l’histoire de la justice internationale, en transformant un système conçu pour tenir les plus haut·es responsables de crimes de masse, en un système qui les protège. Cela revient à renoncer aux progrès durement acquis et de retourner vers un monde où la force prime sur le droit. Le système de justice internationale actuel, construit sur plusieurs décennies, pourrait s’effondrer sous cette pression extérieure qui vise à influencer indûment le cours de la justice. C’est une attaque totale contre l’état de droit, avec des conséquences dévastatrices pour la justice partout dans le monde : si la CPI peut être manipulée par la coercition financière, aucune cour ni mécanisme judiciaire n’est à l’abri, dans aucun pays ou région du monde.

Sanctionner la CPI en tant qu’institution pourrait l’empêcher de fonctionner, y compris en bloquant son accès aux financements des banques et des Etats, et en interdisant l’accès aux services essentiels à son fonctionnement. Le contrôle exercé par les Etats-Unis sur le système financier mondial signifie qu’une simple menace de sanctions peut avoir un impact dramatique, car partout dans le monde, les banques, assureurs et prestataires non-étasuniens tendent à se conformer de manière excessive aux décisions de sanctions, par crainte d’être eux-mêmes sanctionnés, bloquant même les transactions les plus banales. Sans fonds, la Cour risque de ne pas pouvoir maintenir ses opérations, payer son personnel, protéger ses données, garantir la sécurité des témoins, apporter l’aide juridictionnelle aux victimes et aux accusé·es, encore moins délivrer des réparations aux victimes de crimes internationaux. Ces sanctions menacent le fonctionnement même de la Cour, notamment la détention de suspect·es. Les avancées durement acquises, comme l’arrestation et la remise de l’ancien Président des Philippines Rodrigo Duterte, ou encore l’arrestation en Allemagne du suspect libyen Khaled Mohamed Ali El Hishri, pourraient être réduites à néant. Les enquêtes en cours sur des crimes internationaux présumés dans d’autres situations pourraient être suspendues ou abandonnées indéfiniment, laissant les victimes du monde entier privées de justice.

Si ces sanctions rendent la Cour inopérante, il n’y aura pas de retour en arrière et l’une des institutions les plus importantes de ce siècle aura été perdue. La communauté internationale doit réagir.

Les organisations signataires appellent les Etats parties au Statut de Rome à protéger d’urgence la CPI et l’état de droit en :

– rejetant publiquement et fermement les sanctions visant la CPI en tant qu’institution, son personnel et ses responsables, ainsi que les organisations et individus soutenant son travail ;

– intervenant auprès de l’administration étasunienne pour prévenir les désignations visant la CPI, son personnel et ses responsables, ainsi que les organisations et individus la soutenant ;

– mettant en œuvre les mesures nationales et régionales de blocage, y compris le Règlement de blocage de l’Union européenne (Règlement (CE) n° 2271/96), pour afficher leur solidarité et protéger les individus et entités contre l’impact des sanctions, tout en permettant aux entreprises présentes sur leur territoire de continuer à travailler avec la CPI, son personnel, et la société civile qui la soutient ;

– protégeant les prestataires de services en garantissant que la fourniture de services à la CPI et aux organisations qui la soutiennent est légale et protégée ;

– mettant en place des alternatives pratiques au réseau bancaire reposant sur le dollar étasunien ainsi que pour les transactions passant par le système financier étasunien, afin que la Cour et ses soutiens puissent continuer à financer leur travail ;

– fournissant des informations claires et créer des garanties juridiques pour empêcher les banques et prestataires non-étasuniens de se conformer de manière excessive aux menaces de sanctions ;

– remplissant leurs obligations juridiques en vertu du Statut de Rome, notamment contribuer au budget annuel de la Cour, apporter un soutien politique à son indépendance et son fonctionnement, coopérer en vue d’arrêter et remettre les suspect-e-s à la Cour et résister à toute pression visant au désengagement des Etats en réponse aux sanctions.

Liste des organisations signataires dont la LDH et la FIDH.

Le 22 septembre 2025
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