Après Wuambushu, « Mayotte place nette » contre les droits fondamentaux

Communiqué LDH

Chaque printemps, le gouvernement lance une opération régalienne de sécurité contre la population la plus pauvre de France, dans le département de Mayotte où près de 80% de la population vit en deçà du seuil de pauvreté et où le revenu médian mensuel est passé en dix ans de 340 à 260 €.

Tenter de résoudre le fléau de la pauvreté en s’obstinant à stigmatiser 50 % de la population ne peut aboutir qu’à des échecs successifs. Si en effet près de la moitié de la population se compose de natifs des autres îles de l’archipel des Comores et de leurs enfants nés à Mayotte, peut-elle être traitée comme étrangère alors qu’elle partage traditions, langues et religion avec l’ensemble des habitantes et habitants ? S’agit-il d’une migration ou de déplacements domestiques traditionnels ? La séparation engagée depuis l’indépendance des Comores, accentuée en 1995 par le « visa Balladur », n’a causé que malheurs et échecs cuisants.

Comment croire, dans ces conditions, que l’opération Wuambushu II, débutée le 16 avril 2024, sera davantage couronnée de succès que celle menée il y a un an ? Le nouveau nom qui la désigne, « Mayotte place nette » (faire place nette, nettoyer, comment s’en débarrasser), est un aveu d’une rare violence contre des êtres humains en situation d’extrême vulnérabilité.

Les trois volets de l’opération (éradiquer la délinquance, bloquer l’immigration illégale et détruire l’habitat indigne) répètent inlassablement depuis des décennies une politique de brutalisation contre les populations pauvres accusées de tous les maux.

Eradiquer la délinquance, attribuée sans preuve à la jeunesse comorienne, est une belle ambition mais, pour la réaliser, il faudrait a minima des investissements massifs notamment dans l’éducation et le logement, un encadrement social des jeunes et une promesse d’espérance. La moitié de la population est âgée de moins de 18 ans. Tous ces enfants sont très tôt confrontés à la pauvreté et souvent dans l’incapacité de satisfaire leurs besoins essentiels, condamnés à vivre des situations indignes de la France.

Mais plutôt que d’affronter la question sociale, le gouvernement préfère séparer ces jeunes de leurs parents qu’il renvoie régulièrement dans l’île voisine (80 expulsions par jour depuis 2018), refuser de régulariser dès l’âge de 16 ans celles et ceux qui sont nés à Mayotte ou arrivés avant l’âge de 13 ans et les priver d’avenir et de patrie avec le projet de suppression du droit du sol, pourtant déjà bien éloigné de la législation applicable au reste de la France.

L’ambition proclamée d’arrêter 60 chefs de bandes identifiés paraît dérisoire. Que ne sont-ils déjà interpellés et présentés au juge sans qu’il soit besoin d’un tel déploiement de forces ? L’an passé, le ministre de l’Intérieur s’était déjà prévalu de l’arrestation de 59 « chefs de gangs » sans que l’activité du tribunal judiciaire en fût apparemment affectée. Il ne reste qu’un pur exercice de communication trompeur d’autant, qu’en réalité, la brutalité envers la population est permanente depuis près de trente ans.

Bloquer l’immigration illégale en mettant en place un « rideau de fer » ne correspond qu’au durcissement des arraisonnements en mer, soit le maintien de la même politique, en pire. Un mur, qu’il soit technologique ou matériel, n’empêchera jamais les tentatives de le franchir, mais entraîne toujours plus de morts. C’est vrai partout dans le monde et qu’est-ce que cela voudra dire dans cette zone qui est déjà la plus mortifère du territoire français ?

Accélérer la destruction de l’habitat insalubre, projet mené depuis plus de trois ans, ne fait qu’aggraver les conditions déjà misérables qui frappent l’immense majorité de la population. La destruction de 1 300 bangas est annoncée par le gouvernement en deux mois et demi contre les 1 000 prévus lors de la première opération Wuambushu. La démesure d’une telle décision dans un contexte de crise permanente n’ajoutera que du malheur à la misère en l’absence d’hébergement alternatif disponible et durable. Selon la préfecture, l’an passé 667 logements en tôle ont été détruits et un quart des familles relogées pour six mois au maximum.

En bref, Wuambushu II, quel que soit le nom dont on l’affuble, poursuit la même obsession de désigner des boucs émissaires, remisant aux calendes grecques toute politique résolument soucieuse du développement et du bien-être des populations.

La LDH (Ligue des droits de l’Homme) continuera à dénoncer de telles brutalités à l’égard des populations les plus pauvres et sera toujours engagée en faveur d’une politique d’égalité des droits pour toutes celles et ceux qui vivent sur le territoire français.

Paris, le 25 avril 2024

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