20 avril 2022 – Tribune collective “Melissa Lucio dans le couloir de la mort : “Le 27 avril, il sera trop tard” publiée sur Télérama

Tribune collective signée par Malik Salemkour

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Télérama publie l’appel de plus de cinq cents Français pour sauver cette mère de famille hispano-américaine du Texas, jugée coupable d’infanticide en 2008, alors qu’une contre-enquête journalistique conclut à une erreur judiciaire. Elle doit être exécutée par injection létale mercredi prochain.

Il faut empêcher l’exécution de Melissa Lucio. Télérama publie l’appel lancé par plus de cinq cents personnes en faveur de cette mère de famille hispano-américaine. Dans une semaine, le 27 avril 2022, elle sera exécutée par injection létale au Texas dans la « chambre d’exécution » de la prison de Huntsville. Accusée d’avoir tué sa fillette de 2 ans, elle clame son innocence. Son histoire, la journaliste et réalisatrice franco-américaine Sabrina Van Tassel l’a racontée dans le saisissant documentaire L’État du Texas contre Melissa, disponible sur MyCanal. Elle y effectue une véritable contre-enquête, déconstruisant le dossier judiciaire et pointant l’erreur judiciaire.

Aujourd’hui, la mobilisation est mondiale. Mais le compteur continue à tourner. Jeudi 14 avril, un rassemblement citoyen a réuni associations abolitionnistes et militants pour les droits humains, membres de la société civile et élus (députés français et européens, adjoints au maire, conseillers…) devant l’hôtel de ville de Paris pour appeler les autorités texanes à réexaminer l’affaire. Ils ont écrit cette tribune qui compte aujourd’hui plus de cinq cents signataires contre la mort programmée de Melissa Lucio, et contre la peine de mort.

Le 27 avril, il sera trop tard.

Trop tard pour sauver un être humain, un de plus, du couloir de la mort. Sans action de notre part, de nouveau, le châtiment suprême sévira.

Sur le banc des sacrifiés, Melissa Elizabeth Lucio. Cette mère de quatorze enfants, âgée de 53 ans, est déclarée coupable en 2008 de l’homicide de sa fillette âgée de 2 ans. Sa vie, marquée d’embûches, ne peut laisser indifférent : femme, américano-mexicaine, hispanique, pauvre, marginalisée, au parcours social chaotique, à l’histoire professionnelle tumultueuse. Elle cumule l’ensemble des caractéristiques menant à l’incarcération de masse et à la peine de mort.

« Je suppose que je l’ai fait. »

Ces mots prononcés après sept heures d’interrogatoire sont depuis quinze ans considérés par la police texane comme seuls et uniques aveux. Aveux extorqués à 3 heures du matin, exténuée, le tout dans une pièce fermée, sans eau ni toilette ou nourriture, enceinte de ses jumeaux, quelques heures seulement après le décès de Mariah, sa fille. Les conditions de son procès, la condamnation du procureur général pour faits de corruption, les manœuvres de son avocat commis d’office (y compris dans la manipulation de preuves et le refus de témoignages à décharge), les divergences entre les médecins légistes, l’expertise d’un psychologue sur ses conditions d’interrogatoire, sont les éléments tangibles qui, au-delà du simple doute raisonnable, justifient une révision judiciaire. Mis en lumière par Sabrina Van Tassel dans un film contre-enquête saisissant d’une heure et demie, les manques et insuffisances de l’instruction sont patents. Melissa Lucio est, selon toute vraisemblance, victime d’une erreur judiciaire.

Melissa Lucio est, selon toute vraisemblance, victime d’une erreur judiciaire.

Le 27 avril, il sera trop tard.

« Toute personne a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne » nous rappelle l’article 3 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. S’opposer à la sanction capitale, indépendamment de toute considération de culpabilité et au-delà de tout argument factuel et rationnel – qui sont tous en faveur de l’abolition (injustice sociale et inégalité devant la loi, racisme généralisé, discrimination ethnique et religieuse, répression politique, erreurs judiciaires quasi systémiques, torture physique et morale, procès inéquitables, effets totalement non dissuasifs sur le taux de criminalité, etc.) –, est une évidence pour nos sociétés démocratiques.

Monsieur le Président, vous l’avez rappelé le 9 octobre dernier devant Robert Badinter. Chaque fois qu’une condamnation à mort est prononcée, « ce sont bien les valeurs des Lumières qui sont bafouées. […] La France va relancer le combat pour l’abolition universelle. […] Combat universel que nous mènerons en européen, encore et toujours ».

Le rôle et la place de la France, le prestige dont elle jouit par ses engagements internationaux et son histoire, conjugués aux principes européens, toujours au service du droit, des femmes et des hommes, nous obligent, vous obligent. Votre autorité morale tirée de l’histoire des droits de l’Homme doit convaincre. Nos valeurs universelles doivent perforer les dernières démocraties récalcitrantes et au-delà.

Le 27 avril, il sera trop tard.

Depuis toutes ces années, chaque jour, la famille Lucio se bat pour rétablir la vérité et obtenir cette justice, en vain. Pourtant, l’affaire marque, d’ores et déjà, l’histoire de son empreinte. Pour la première fois, plus de quatre-vingts membres du Congrès et une vingtaine de sénateurs, républicains et démocrates, se rassemblent pour plaider la révision du procès. Une pétition réunit désormais près de trois cent mille Américains en ce sens. Partout dans le monde, l’affaire émeut autant qu’elle révolte. Dans la nuit du 8 au 9 avril, les ambassadeurs européens aux USA eux-mêmes – français, slovaque, danois, italien, allemand, espagnol – montrent la voie. Six jours plus tard, ce sont les autorités françaises qui appelaient à surseoir à l’exécution.

Pour l’ensemble de ces raisons, nous, militants et élus, activistes et artistes, citoyens engagés et journalistes, avons décidé d’apporter notre soutien à Melissa, et demandons solennellement aux dirigeants français et européens de continuer d’user de leur position pour la sauver. Soyez à la hauteur de vos prédécesseurs, pour l’Histoire, pour les droits humains, pour Melissa Lucio.

Luttons. Car le 27 avril, il sera trop tard.


Signataires : 
Lu Ahn Artis, étudiante ; Amnesty International France ; Ariane Ascaride, comédienne ; Marie Bardiaux-Vaïente, militante abolitionniste ; Julien Bayou, secrétaire national d’EELV ; Emmanuelle Béart, comédienne ; Marie Bellosta, éditrice ; Yamina Benguigui, réalisatrice ; Andréa Bescond, réalisatrice ; Simon Blin, chargé d’affaires publiques ; Isabelle Carré, comédienne ; Leïla Chaibi, députée européenne ; Raphaël Chenuil-Hazan, directeur général d’ECPM (Ensemble contre la peine de mort) ; Rokhaya Diallo, réalisatrice ; Lamia El Aaraje, conseillère de Paris ; Pascal Elbé, acteur ; Olivier Faure, premier secrétaire du PS ; Luc Ferry, philosophe, ex-ministre de l’Éducation nationale ; Bernadette Forhan, présidente d’ACAT-France ; Sabrina Ganeswaran, élue municipale ; Geneviève Garrigos, conseillère de Paris, ancienne présidente d’Amnesty International France ; Jean-Pierre Gillet, conseiller de Paris ; Jérôme Gleize, conseiller de Paris ; Marie-Pierre de la Gontrie, sénatrice ; Marc Gricourt, maire de Blois ; Sylvie Guillaume, députée européenne ; Jacky Hortaut, co-animateur du collectif Libérons Mumia ; Alexandra Lamy, comédienne ; Colin Mercier, lycéen ; Pierre Larrouturou, député européen ; Nadia Meziane, militante Lignes de crêtes ; Tania de Montaigne, écrivaine ; Aminata Niakate, conseillère de Paris et présidente d’ECPM (Ensemble contre la peine de mort) ; Nicolas Perron, directeur des programmes d’ECPM (Ensemble contre la peine de mort) ; Nicolas Poincaré, journaliste ; Philippe Poutou, ouvrier, conseiller municipal Bordeaux, NPA ; Audrey Pulvar, adjointe à la Mairie de Paris ; Jean Reno, acteur ; Muriel Robin, comédienne ; Fabien Roussel, député, PCF ; Malik Salemkour, président LDH (Ligue des droits de l’Homme France) ; Christiane Taubira, ancienne Garde des Sceaux ; Pierre Thomas, ex-coordinateur régional Occitanie pour la Primaire populaire ; Assa Traoré, La Vérité pour Adama ; Boris Vallaud, député ; Sabrina Van Tassel, journaliste et réalisatrice ; Laure Weil, professeure de lycée ; Roschdy Zem, comédien…
Liste complète des signataires sur le site d’ECPM-Ensemble contre la peine de mort, ici.

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