Note d’analyse de la LDH – Décembre 2025
Modifié par LOI n°2016-731 du 3 juin 2016 – art. 45
Afin de prévenir et de réprimer le terrorisme, de faciliter la constatation des infractions s’y rattachant, de faciliter la constatation des infractions criminelles ou liées à la criminalité organisée au sens des articles 706-73 et 706-73-1 du code de procédure pénale, des infractions de vol et de recel de véhicules volés, des infractions de contrebande, d’importation ou d’exportation commises en bande organisée, prévues et réprimées par le dernier alinéa de l’article 414 du code des douanes, ainsi que la constatation, lorsqu’elles portent sur des fonds provenant de ces mêmes infractions, de la réalisation ou de la tentative de réalisation des opérations financières définies à l’article 415 du même code et afin de permettre le rassemblement des preuves de ces infractions et la recherche de leurs auteurs, les services de police et de gendarmerie nationales et des douanes peuvent mettre en œuvre des dispositifs fixes ou mobiles de contrôle automatisé des données signalétiques des véhicules prenant la photographie de leurs occupants, en tous points appropriés du territoire, en particulier dans les zones frontalières, portuaires ou aéroportuaires ainsi que sur les grands axes de transit national ou international.
L’emploi de tels dispositifs est également possible par les services de police et de gendarmerie nationales, à titre temporaire, pour la préservation de l’ordre public, à l’occasion d’événements particuliers ou de grands rassemblements de personnes, par décision de l’autorité administrative.
D’une manière générale, la LDH constate, en premier lieu, que la proposition de loi, qui tend à accroître la surveillance des personnes, se place dans le sillage pleinement sécuritaire des textes législatifs antérieurs qui ont considérablement renforcé les mesures administratives ou judiciaires de surveillance au détriment des droits et libertés, notamment sous prétexte de lutte contre le terrorisme ou la criminalité et la délinquance organisées. La proposition de loi participe ainsi à l’inflation législative régulièrement constatée et dénoncée en matière de restrictions aux droits et libertés.
En second lieu, la LDH observe que de plus en plus de textes touchant aux libertés et droits fondamentaux sont présentés par le biais de propositions de loi qui ne sont pas, de ce fait, accompagnée d’études d’impact ni d’ailleurs d’avis du Conseil d’Etat. La possibilité offerte, par l’article 39, alinéa 5, de la Constitution, au président d’une assemblée de soumettre pour avis du Conseil d’Etat, avant son examen en commission, une proposition de loi (sauf opposition du membre de l’assemblée qui l’a déposée) n’est guère utilisée. Et les textes, qu’ils prennent la forme de projets ou de propositions de loi alors qu’ils portent atteinte aux libertés et droits fondamentaux, sont systématiquement soumis à la procédure accélérée limitant ainsi le temps de la délibération et la qualité de la norme.
Sur l’article 1er de la proposition de loi
L’article 1er de la proposition de loi tend à modifier le premier alinéa de l’article L.233-1 du code de la sécurité intérieure.
Alors que l’article susvisé, dans sa rédaction actuelle, énumère les cas précis, bien que nombreux, de recours au contrôle automatisé des données signalétiques des véhicules, le nouvel article procède à une extension considérable et incertaine de ce contrôle.
Selon les dispositions actuelles de l’article L. 233-1 du code de la sécurité intérieure, « Afin de prévenir et de réprimer le terrorisme, de faciliter la constatation des infractions s’y rattachant, de faciliter la constatation des infractions criminelles ou liées à la criminalité organisée au sens des articles 706-73 et 706-73-1 du code de procédure pénale, des infractions de vol et de recel de véhicules volés, des infractions de contrebande, d’importation ou d’exportation commises en bande organisée, prévues et réprimées par le dernier alinéa de l’article 414 du code des douanes, ainsi que la constatation, lorsqu’elles portent sur des fonds provenant de ces mêmes infractions, de la réalisation ou de la tentative de réalisation des opérations financières définies à l’article 415 du même code et afin de permettre le rassemblement des preuves de ces infractions et la recherche de leurs auteurs, les services de police et de gendarmerie nationales et des douanes peuvent mettre en œuvre des dispositifs fixes ou mobiles de contrôle automatisé des données signalétiques des véhicules prenant la photographie de leurs occupants, en tous points appropriés du territoire, en particulier dans les zones frontalières, portuaires ou aéroportuaires ainsi que sur les grands axes de transit national ou international ».
La proposition de loi modifie l’article qui serait ainsi rédigé : « Afin de faciliter la constatation des infractions de vols de véhicules et de crimes ou de délits prévus par le code pénal ou par le code des douanes punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement et afin de permettre (le reste sans changement) ».
L’exposé des motifs précise que « L’article 1er élargit le champ des finalités permettant de collecter et d’accéder aux données. Plutôt que de viser une liste exhaustive, il prévoit un seuil de gravité d’infraction au-delà duquel la consultation est autorisée ».
Or, la nouvelle rédaction ne paraît aucunement conforme aux normes constitutionnelles, européennes (article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950) et internationales (article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966), qui garantissent le droit à la vie privée.
1. En effet, comme le relève, de manière constante, le Conseil constitutionnel (par exemple, CC DC n°2003-467 DC 13 mars 2003, Loi pour la sécurité intérieure) : « la liberté proclamée par l’article 2 de la Déclaration de1789 implique le respect de la vie privée ; qu’il appartient au législateur, en vertu de l’article 34 de la Constitution, de fixer les règles concernant les garanties fondamentales, accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ; qu’il lui appartient notamment d’assurer la conciliation entre, d’une part, la sauvegarde de l’ordre public et la recherche des auteurs d’infractions, toutes deux nécessaires à la protection de principes et droits de valeur constitutionnelle et, d’autre part, le respect de la vie privée et des autres droits et libertés constitutionnellement protégés».
Si les dispositions de l’article précité demeuraient en l’état, la quasi-totalité des incriminations du code pénal et du code des douanes ferait désormais l’objet de ce contrôle automatisé, les législations récentes ayant constamment augmenté le quantum des peines. Rares sont, en effet, aujourd’hui les incriminations qui fixent des peines d’emprisonnement inférieures à cinq ans. D’autant plus que, par le biais des circonstances aggravantes, le quantum de la peine peut s’élever bien au-delà de cinq ans pour un nombre considérable d’infractions. En outre, les infractions qui seraient concernées ne seraient plus, pour l’essentiel, nécessairement en lien avec la lutte contre le terrorisme ou la criminalité organisée. Cette généralisation de la surveillance apparaît donc excessive, n’étant ni nécessaire, ni adaptée, ni proportionnée au but poursuivi. Elle est d’autant moins proportionnée qu’elle s’appliquera à tous les véhicules et leurs occupants circulant dans les zones concernées générant ainsi une surveillance à grand échelle de tous les citoyens. Outre le fait que cette surveillance permettra de déduire en fonction des déplacements des individus une part importante de leur vie privée, elle permettra une reconnaissance faciale a posteriori par la consultation des fichiers comme le TAJ accessibles aux forces de police.
Dans sa décision n°2005-532 DC du 19 janvier 2006, Loi relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers, si le Conseil constitutionnel a validé la réforme qui donnait une nouvelle rédaction à l’article 26 de la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure (dont les dispositions ont ensuite été intégrées dans le code de la sécurité intérieure aux articles L. 233-1 et suivants), c’est au regard des finalités et garanties prévues par la loi : « qu’eu égard aux finalités que s’est assignées le législateur et à l’ensemble des garanties qu’il a prévues, les dispositions contestées sont propres à assurer, entre le respect de la vie privée et la sauvegarde de l’ordre public, une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée ».
Parmi les finalités et garanties qui figuraient dans le texte se trouvait une énumération précise et limitée des infractions susceptibles d’être l’objet du contrôle automatisé. Le Conseil soulignait alors « qu‘en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu, d’une part prévenir et réprimer le terrorisme et les infractions qui lui sont liées, d’autre part, faciliter la constatation des crimes, des infractions liées à la criminalité organisée, du vol et recel de véhicules et de certains délits douaniers ; qu’il leur a également assigné comme finalité la recherche des auteurs de ces infractions ».
En procédant à la généralisation de la constatation d’un nombre considérable d’infractions sans les désigner précisément (crimes ou délits du code pénal et du code des douanes dont la peine encourue est supérieure ou égale à un quantum fixé) et, pour l’essentiel, sans lien affirmé avec la lutte contre le terrorisme ou la criminalité organisée, la proposition de loi change totalement de paradigme et méconnaît les exigences constitutionnelles sus-indiquées. Cette généralisation est d’autant plus grave que le contrôle automatisé des données signalétiques des véhicules s’accompagne de la photographie de tous les occupants des véhicules, par des dispositifs fixes ou mobiles, et cela « en tous points du territoire, en particulier dans les zones frontalières, portuaires ou aéroportuaires ainsi que sur les grands axes de transit national ou international ».
Par ailleurs, la proposition de loi indique, dans ses motifs, parmi les finalités de la réforme, un but purement financier (voir le paragraphe 2 de l’exposé des motifs « Leur [les dispositifs LAPI] utilisation réduit également le coût matériel […] pour les forces de l’ordre »), étranger à l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions.
2. Le droit à la vie privée est également protégé par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, dans son article 8, qui stipule que « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée |…]. 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés des droits et libertés d’autrui ». La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, sur le fondement de l’article 8 de la Convention, considère qu’il lui appartient de vérifier si les autorités publiques avaient des raisons « pertinentes» et des motifs suffisants pour prendre les mesures litigieuses et proportionnées au but recherché. La Cour tient compte du rôle fondamental que joue la protection des données à caractère personnel (par exemple, CEDH, Z. c/ Finlande, requête n°22009/93, du 27 février 1997).
3. De plus, le texte législatif proposé manque de clarté et contrevient ainsi à l’objectif de valeur constitutionnelle d‘accessibilité et d’intelligibilité de la loi (Conseil constitutionnel n°99-421 DC du 16 décembre 1999, Loi portant habilitation du gouvernement à procéder, par ordonnances, à l’adoption de la partie législative de certains codes, et jurisprudence subséquente).
En effet, en indiquant que seraient envisagées les infractions punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement, la rédaction laisse incertaines les incriminations concernées. Or, comme le relève le Conseil constitutionnel dans la décision du 16 décembre 1999 précitée « l’égalité devant la loi énoncée par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen et « la garantie des droits » requise par son article 16 pourraient ne pas être effectives si les citoyens ne disposaient pas d’une connaissance suffisante des normes qui leur sont applicables ; qu’une telle connaissance est en outre nécessaire à l’exercice des droits et libertés garantis tant par l’article 4 de la Déclaration en vertu duquel cet exercice n’a de bornes que celles déterminées par la loi que par son article 5 aux termes duquel « tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas ».
Comme l’indique le Conseil constitutionnel dans ses décisions, le manquement à l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi empêche de rendre effectives l’égalité devant la loi et la garantie des droits, ce qui est le cas en l’espèce en raison de la rédaction défectueuse de l’article 1er de la proposition de loi.
Sur l’article 2 de la proposition de loi
L’article L 233-2 actuel du code de la sécurité intérieure dispose que
« Pour les finalités mentionnées aux articles L. 233-1 et L. 233-1-1, les données à caractère personnel collectées à l’occasion des contrôles susmentionnés peuvent faire l’objet de traitements automatisés mis en œuvre par les services de police et de gendarmerie nationales et les services des douanes et soumis aux dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.
Ces traitements comportent une consultation du traitement automatisé des données relatives aux véhicules volés ou signalés ainsi que du système d’information Schengen.
Afin de permettre cette consultation, les données collectées sont conservées durant un délai maximum de quinze jours au-delà duquel elles sont effacées dès lors qu’elles n’ont donné lieu à aucun rapprochement positif avec les traitements mentionnés au précédent alinéa. Durant cette période de quinze jours, la consultation des données n’ayant pas fait l’objet d’un rapprochement positif avec ces traitements est interdite, sans préjudice des nécessités de leur consultation pour les besoins d’une procédure pénale ou douanière. Les données qui font l’objet d’un rapprochement positif avec ces mêmes traitements sont conservées pour une durée d’un mois sans préjudice des nécessités de leur conservation pour les besoins d’une procédure pénale ou douanière.
Ces traitements comportent également une consultation du traitement automatisé de données du système d’immatriculation des véhicules, du traitement automatisé du système de contrôle automatisé ainsi que des traitements de données relatives à l’assurance des véhicules.
Aux fins de prévenir et de réprimer les actes de terrorisme et de faciliter la constatation des infractions s’y rattachant, les agents individuellement désignés et dûment habilités des services de police et de gendarmerie nationales spécialement chargés de ces missions peuvent avoir accès à ces traitements ».
La proposition de loi tend à remplacer les deux occurrences des mots « de quinze jours » par les mots « d’un mois » et les mots « d’un mois » par les mots « de deux mois ».
Cette extension, dans la durée, de la conservation des données porte elle-aussi atteinte au droit à la vie privée. Dans sa décision du 19 janvier 2006 précitée, le Conseil constitutionnel avait relevé, au titre des garanties ayant permis la validation de la réforme du texte de l’article 26 de la loi du 18 mars 2003, que les délais de conservation des données étaient particulièrement limités : huit jours (délai d’ailleurs porté ultérieurement à quinze jours) et un mois. L’instauration de délais d’un mois et de deux mois, qui correspondent au doublement de ceux actuels, apparaît par conséquent excessive et contraire aux exigences constitutionnelles susvisées.
Sur l’article 3 de la proposition de loi
La proposition de loi tend à l’ajout d’un nouvel article L. 233-3 du code de la sécurité intérieure ainsi rédigé :
« En tous points appropriés du territoire, les systèmes de vidéoprotection mis en œuvre sur la voie publique par les autorités compétentes en application de l’article L. 251-2 intègrent, à compter du 1er janvier 2028, un dispositif de contrôle automatisé des données signalétiques des véhicules prenant la photographie de leurs occupants. Les données collectées peuvent être utilisées par les services de police et de gendarmerie nationales et des douanes, dans les limites fixées au présent chapitre, après leur avoir été transmises selon des modalités précisées par voie de convention ».
Ce texte renforce considérablement les dispositions des articles 1 et 2 précités de la proposition de loi dans le sens d’une surveillance généralisée des personnes, par l’utilisation des systèmes de vidéosurveillance dans le contrôle automatisé des plaques d’immatriculation des véhicules alors qu’est incluse la prise de photographie de tous les occupants d’un véhicule. Le texte accroît ainsi de manière inédite les moyens déjà existants du contrôle social de toute personne dans l’espace public sur l’ensemble du territoire, ce qui constitue une gravissime atteinte aux libertés et droits fondamentaux. Ce faisant, la mesure édictée n’apparaît ni nécessaire, ni adaptée, ni proportionnée au but poursuivi.
Le texte proposé ne respecte pas mieux l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi (voir la décision précitée du Conseil constitutionnel du 16 décembre 1999). En effet, les termes équivoques qui commencent le nouvel article (« En tous points appropriés du territoire… ») étant manifestement imprécis et susceptibles d’interprétation.
Enfin, la proposition de loi est viciée par une incompétence négative. En effet, si la proposition de loi devait être adoptée en l’état, il en résulterait un refus d’exercice de ses compétences par le législateur en ce qu’il aurait renvoyé à une simple convention le soin de déterminer les modalités de transmission des données pouvant être utilisées par les services de police, de gendarmerie et des douanes.
