Recommandations de la LDH
Madame la Présidente,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames, Messieurs les vice-présidents,
Mesdames, Messieurs les membres de la Commission parlementaire,
Dans le cadre des travaux de la Commission d’enquête relatifs à la prise en charge de la santé mentale et du handicap, la LDH (Ligue des droits de l’Homme) souhaite apporter des éléments de réflexion et de recommandation relatifs à l’accès et au maintien dans leur logement des personnes à mobilité réduite ou en perte d’autonomie (handicap, maladie chronique et seniors)
Ces propositions s’inscrivent dans la continuité des travaux menés sur le logement PMR par :
- la Fondation pour le logement par son 30e rapport ;
- le rapport suite à la mission d’évaluation de la loi de 2005 portée par les députés Christine Lenabour et Sébastien Peytavie ;
- la proposition de loi portée par Anaïs Belouassa-Chérifi, Alma Dufour, Sébastien Peytavie, députés, et la contribution juridique de Nabéla Aïssaoui, juriste engagée, ainsi que par les travaux de Pierre-Yves Baudot, politiste.
Ces propositions visent à renforcer les droits des locataires handicapés qui subissent l’inadaptation de leur logement causant de la maltraitance et la privation de leurs droits fondamentaux. Elles se fondent également sur une volonté de désinstitutionnaliser notre société sur les bases des recommandations de l’ONU dans un objectif de consacrer l’autonomie des personnes en situation de handicap.
I. Introduction de contexte
En 2010, la France a ratifié la Convention internationale de l’ONU pour les personnes handicapées, qui rappelle que le handicap n’est pas une maladie, mais bien le résultat des interactions avec un environnement inadapté et avec des logements qui le sont tout autant, ce qui constitue le cœur de la discrimination vécue au quotidien pour les personnes handicapées. Toute la législation (au sens large) doit donc respecter les principes posés par cette Convention.
Il y a vingt ans, la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a fixé des ambitions fortes pour garantir que toutes les nouvelles constructions respectent les normes d’accessibilité universelle pour les personnes en situation de handicap.
Pour rappel, la loi n°2005-102 du 11 février 2005 (Titre IV : Accessibilité) prévoit en son article 45 que :
« Les dispositions architecturales, les aménagements et les équipements des bâtiments d’habitation collectifs et des maisons individuelles destinées à la location ou à la vente doivent être accessibles aux personnes handicapées.
L’accessibilité concerne l’ensemble du cadre bâti, de la voirie, des espaces publics et des transports.
Les bâtiments d’habitation neufs doivent être construits de manière à être accessibles et adaptables aux personnes handicapées, quel que soit leur handicap (moteur, visuel, auditif, mental, etc.). »
Depuis 2005, et en dépit de la ratification de la Convention onusienne, les dérogations se sont multipliées, affaiblissant progressivement les objectifs initiaux. Cette tendance a atteint son paroxysme lors de l’adoption de la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ELAN) en 2018. Son article 64 dispose que, dans les bâtiments d’habitation collectifs, seuls 20% des logements, avec un minimum d’un logement par bâtiment, doivent être accessibles, tandis que les autres logements sont qualifiés d’« évolutifs ». La loi ELAN signe ainsi de manière officielle la fin du principe « d’accessibilité de tous à tout », une régression qui profite uniquement à des groupes d’intérêts puissants du secteur du bâtiment, déroulant un agenda constant : alléger les normes d’accessibilité pour assurer une meilleure rentabilité du bâti.
Cette régression des ambitions de la France en termes d’accessibilité de son parc a produit des effets dramatiques pour les personnes en situation de handicap. Ce constat d’échec est aggravé par des normesqui invisibilisent et stigmatisent les personnes en situation de handicap, les mettant en position de vulnérabilité : mal-logement, sans-abrisme, situation de dépendance et perte d’autonomie.
Une enquête du Défenseur des droits montre notamment que parmi les 18-79 ans ayant vécu une discrimination dans la recherche d’un logement, 53% invoquent leur handicap comme motif de cette situation. Les personnes en situation de handicap ont, toutes choses égales par ailleurs, deux fois plus de chances d’être discriminées dans leur recherche de logement.
ii. Problématiques
Un million de personnes handicapées rencontrent des difficultés pour sortir du domicile, voire subissent une assignation à résidence. D’après l’enquête Autonomie de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES)[1], en 2022, 302 000 personnes auraient beaucoup de difficultés à sortir seules de chez elles sans aide, pour des raisons de santé (dont 189 000 ont plus de 64 ans). Et 976 000 ne le pourraient pas du tout (dont 507 000 ont plus de 64 ans).
Concrètement, ceci entraîne une impossibilité de se laver, d’ouvrir ses fenêtres, d’utiliser son fauteuil roulant ou un appareillage qui impose souvent un alitement forcé entraînant la dégradation de l’état de santé et une perte d’espérance de vie sous 12 mois.
C’est aussi l’impossibilité de sortir pour se soigner, étudier et même voter. La justice a admis qu’une telle situation constitue un traitement dégradant et une atteinte à la dignité humaine.
Il est donc primordial que les locataires en situation de handicap puissent aussi être protégés.
- Une des causes de cet enfermement réside dans la fraude à la labellisation PMR (personne à mobilité réduite) et le non-respect des normes d’accessibilité :
i) Les normes qui définissent l’accessibilité d’un logement PMR sont insuffisantes et doivent être révisées. Cette insuffisance est liée au fait que de nouvelles technologies (comme le développement du fauteuil électrique) modifient la taille nécessaire à la manœuvre et au transfert. Les minimas prévus sont Elle est aussi liée au fait que ces normes d’accessibilité ne prennent pas en considération les besoins spécifiques de chaque handicap et qu’elles s’avèrent en réalité peu efficaces pour assurer ce qu’elles sont censées garantir : l’accessibilité. Selon le Code de la Construction et de l’Habitat, un balcon peut ainsi être considéré “accessible” même si on y accède par une marche de 15 cm.
ii) Le droit de la construction et de l’habitat est en pratique un droit dérogatoire. Les règles ne sont très souvent pas appliquées, soit parce qu’il existe juridiquement une passe autorisant à déroger, soit parce que les fraudes ne sont pas suffisamment contrôlées et sanctionnées.
Selon les données déclaratives des bailleurs recueillies par l’Agence nationale de contrôle du logement social (Ancols), les bailleurs sociaux estiment que 30 % de leur parc est constitué de logements adaptés ou accessibles. Toutefois, ils reconnaissent eux-mêmes avoir du mal à définir précisément ce que recouvrent ces notions. Ainsi, ces 30 % incluent parfois des logements non conformes, comportant par exemple des accès avec escaliers, des douches avec une marche de 20 cm, ou encore des balcons inaccessibles.
Les éléments recueillis montrent que la part des logements réellement accessibles et adaptés ne dépasserait en réalité pas 3 % du parc social selon le rapport de l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD) d’octobre 2023.
Il s’avère que les rapports d’accessibilité se font rares et quand ils ont lieu, ils sont réalisés sur la base de plans d’architecte et non in situ comme le prévoient les règles professionnelles, et par des partenaires commerciaux du bailleur social.
Cela engendre de nombreuses erreurs, voire fraudes malgré des labellisations où le logo PMR est présent sur les documents fournis au locataire, et le locataire vulnérable se retrouve dans une position complexe. Il va devoir contester l’attribution d’un logement par la CALEOL (Commission d’Attribution de Logements et d’Examen de l’Occupation des Logements) qui ne répond pas aux besoins liés à son handicap tout en contestant la réalisation des travaux par le bailleur.
Les tribunaux rejettent la plupart des demandes, et lorsqu’ils condamnent, le font sans prévoir de sanction et sans base légale solide. Ces décisions, souvent annulées en appel, n’ont donc aucune force coercitive.
De surcroît, un logement inaccessible et inadapté n’est reconnu par les tribunaux ni comme une urgence ni comme une « non-décence » ni comme une faute du bailleur.
Donc au mieux, ils font appel à l’exigence posée par le Code civil de se comporter « en personne prudente et responsable » pour ne pas nuire à autrui (l’ancienne expression découlant du droit romain étant la gestion en « bon père de famille ») face à une situation reconnue comme inacceptable. Mais l’application d’un principe général ne permet pas d’imposer des adaptations importantes. Et en tout état de cause, les locataires ont besoin de droit et non d’une faveur.
D’où l’importance d’instaurer un contrôle indépendant des logements à la demande des locataires à l’instar du contrôle de l’insalubrité par des agents municipaux et une obligation de mutation de logement en cas de constat d’inadaptation, pesant sur les bailleurs sociaux.
- L’autre cause principale réside dans l’absence de recensement desdits logements au sein du parc social.
Même lorsqu’une personne est reconnue prioritaire au titre du DALO, elle est régulièrement orientée vers le site Loc’annonces ou vers Action Logement. Cependant, aucune mise à jour n’est effectuée concernant l’accessibilité des logements, y compris pour ceux qui pourraient convenir.
Cette situation porte atteinte au principe d’égalité de traitement entre les demandeurs de logement, en raison de leur handicap, et constitue une forme de discrimination.
D’où l’importance de mettre en place un listing répertoriant les logements adaptés aux personnes à mobilité réduite (PMR), puisque, à ce jour, ni les communes, ni les départements (dans le cadre du DALO), ni les bailleurs ne disposent d’une information complète et conforme aux critères d’accessibilité.
Ces difficultés d’accès au logement découlent d’une offre locative, accessible et adaptée, insuffisante et même tout à fait marginale. Seuls 18 % des logements seraient considérés comme accessibles, et 6 % seulement seraient accessibles et adaptés (privé et social).
Le droit au logement est reconnu comme un droit à caractère constitutionnel depuis une décision du Conseil constitutionnel du 19 janvier 1995[2]. Or, les évaluations le démontrent, l’État n’assure pas l’effectivité de ce droit pour toutes et tous, d’autant plus pour les personnes en situation de handicap.
Pire, la situation n’évolue pas seulement trop lentement, elle se dégrade. Les obstacles à l’accès à un logement adapté et abordable se multiplient, les délais d’attente pour l’obtention d’un logement social accessible sont indécents, le parc privé locatif devient de plus en plus inaccessible financièrement et les logements sont, dans de trop nombreux cas, inadaptés. Ces obstacles empêchent les personnes en situation de handicap de vivre où elles le souhaitent, les contraignant parfois à déménager ou à s’installer chez des proches quand elles le peuvent. Bien souvent, ces personnes sont assignées à résidence dans des logements ne respectant ni leur santé, ni leur bien-être, ni leur dignité.
Le rapport « Les politiques publiques du handicap » publié le 5 juillet 2023 par la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH)[3] souligne l’ineffectivité du droit au logement pour les personnes en situation de handicap, plus particulièrement pour les personnes les plus précaires.
Ce constat concerne tous les types de logement, qu’ils soient publics ou privés, mais également le parc de logements étudiants.
III. Les recommandations
Ainsi, nous recommandons :
- Recommandation n°1 – 100 % accessible
D’instaurer l’obligation d’une mise en accessibilité intégrale de l’ensemble des nouvelles constructions de logements, qu’ils appartiennent au parc public ou privé.
Conformément à l’esprit de la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées de 2005, cette recommandation vise à imposer que tous les logements neufs – y compris dans des logements de 3 étages ou moins – soient accessibles. La loi de 2005 ne concernait en réalité que 45% des logements neufs : rez-de-chaussée et immeubles de 4 étages ou plus (le décret du 11 avril 2019 a porté cette obligation pour les bâtiments à R+3). La loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique de 2018, dite loi ELAN, en réduisant à 20% l’obligation d’accessibilité de 45% des logements n’a consacré en réalité qu’une obligation de 9% des logements neufs accessibles, un chiffre dérisoire qui explique la situation actuelle.
Le cas échéant, d’imposer la déclaration du nombre de logements PMR lors de la demande du permis de construire afin de faire respecter à minima la loi ELAN.
- Recommandation n°2 – Répertoire des logements PMR
D’obliger les bailleurs sociaux et les Crous à transmettre des informations concernant l’accessibilité de leurs logements au sein du répertoire national des logements locatifs sociaux (RPLS), puis au service public départemental de l’autonomie, pour les rendre disponibles au public.
- Recommandation n°3 – Contrôle indépendant
D’établir un contrôle indépendant des logements dits PMR
- D’autoriser les agents communaux déjà assermentés et habilités pour vérifier le respect des règles de construction, à vérifier le respect des règles d’accessibilité, sur la demande du locataire, lorsque le logement a été déclaré accessible dans le répertoire national des logements locatifs sociaux et/ou auprès du locataire, et ceci à n’importe quel moment après la construction du logement.
- De renforcer les pouvoirs des services publics départementaux de l’autonomie en lui permettant de participer au contrôle du respect des règles d’accessibilité par les constructions neuves et autorise la réception et le traitement des informations du RPLS relatif à l’accessibilité des logements locatifs déclarés accessibles par les bailleurs sociaux et les Crous.
En parallèle, de manière indispensable et pour renforcer la protection des locataires vulnérables :
- De rendre obligatoire la mutation d’un locataire devenu handicapé ou en perte de mobilité par les bailleurs sociaux dans un délai maximal de 6 mois (à ce jour il n’y a pas d’obligation légale et cela cause une non prise en charge par le bailleur malgré la priorité). Au-delà de 6 mois, l’état de la personne s’aggrave, entraînant une perte d’autonomie et des besoins supplémentaires d’aide de l’Etat. Si la mutation n’est pas réalisée dans ce délai, le bailleur social ou le Crous pourra être condamné à une astreinte financière et l’obligation de reloger temporairement le locataire dans des conditions adaptées à son handicap.
- D’affirmer l’obligation de réalisation des travaux d’adaptation sous 4 mois (partie commune et le logement). Si cela s’avère impossible techniquement, alors la mutation doit s’appliquer.
En cas de non-respect, prévoir une sanction financière.
- Recommandation n°4 – Copropriété
De faciliter la mise en accessibilité des parties communes pour un logement se situant dans une copropriété par un vote à la majorité simple et que tout refus doit être motivé par une atteinte à la structure par un expert.
D’augmenter la prise en charge des travaux concernant l’adaptabilité des logements, et l’étendre aux parties communes, assortie d’une demande de rapport concernant le dispositif MaPrimeAdapt’.
Conclusion
Il semble aujourd’hui essentiel qu’un projet de loi prenne en compte ces recommandations afin de mieux protéger les locataires en situation de handicap, trop souvent livrés à des bailleurs qui n’entendent pas ou ne comprennent pas leurs besoins.
Vingt ans après la loi du 11 février 2005, il apparaît indispensable d’en préciser la portée et de la renforcer pour garantir son effectivité.
En définitive, ces propositions traduisent la volonté de lutter concrètement contre les discriminations dont sont victimes les personnes en situation de handicap et de leur permettre de se protéger juridiquement, dans l’esprit même de la loi de 2005.
Elles rappellent également que la situation actuelle résulte en grande partie de la faible implication par les pouvoirs publics des personnes concernées. Il est essentiel de renforcer leur participation dans ces processus décisionnels, qui constituent une exigence démocratique et la garantie d’une pleine citoyenneté.
Ces propositions appellent ainsi à une mobilisation commune des pouvoirs publics, des bailleurs et de la société civile pour faire du droit au logement un droit réellement effectif – condition essentielle d’une société juste, solidaire et véritablement inclusive.
Elles constituent une étape vers la reconnaissance pleine et entière du droit fondamental de chaque personne, quelle que soit sa situation, à vivre dignement, librement et en toute autonomie.
