4 décembre 2007 – Lettre ouverte au Président de la République Le Darfour et la Cour pénale internationale

Lettre commune FIDH-LDH-ACAT-Amnesty International France

Monsieur le Président de la République,

Le 5 décembre, le Procureur de la Cour pénale internationale (CPI), basée à la Haye, soumettra un rapport au Conseil de sécurité sur son enquête au Darfour. Pour la première fois, il dénoncera l’absence totale de coopération du gouvernement soudanais avec la Cour. A cette occasion, nous demandons à la France de démontrer tout son attachement à la lutte contre l’impunité et d’utiliser son siège au Conseil de sécurité pour dénoncer publiquement l’attitude du gouvernement soudanais.

En mars 2005, le Conseil de sécurité déférait la situation des crimes au Darfour à la Cour pénale internationale. Cette décision représentait alors une occasion historique pour que justice soit enfin rendue aux victimes darfouri. La France avait joué un rôle majeur dans le renvoi de cette situation devant la CPI. Malgré la ferme opposition de plusieurs membres du Conseil de sécurité à la Cour, la France avait pesé de tout son poids politique et diplomatique pour que le Conseil accepte de recourir à la CPI. Aujourd’hui, alors que les espoirs de justice des victimes darfouri sont très gravement menacés, nous appelons la France à réaffirmer cet engagement.

En effet, en avril dernier, la Cour a délivré deux mandats d’arrêt à l’encontre d’Ahmad Harun, actuellement Ministre aux affaires humanitaires, et d’Ali Kushayb, un chef des fameuses milices janjaouid, pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre commis au Darfour entre 2003 et 2004. Or, le gouvernement soudanais, qui a la responsabilité et la capacité d’arrêter ces deux suspects, a pris le parti de les protéger et de nier ces crimes. Il a déclaré publiquement qu’il ne remettrait aucun soudanais à la Cour et que toute tentative d’arrêter Ahmad Harun et Ali Kushayb par l’intermédiaire d’Interpol équivaudrait à « un enlèvement et un acte de piraterie internationale ». Ahmad Harun continue d’exercer ses fonctions de ministre et a même été nommé à un comité sur les atteintes aux droits de l’Homme au Soudan tandis qu’Ali Kushayb, qui était détenu, aurait été relâché « faute de preuves ». Nous nous inquiétons du silence assourdissant de la communauté internationale face à ces provocations.

Nos organisations sont certes sensibles aux efforts du Conseil de sécurité pour maintenir le dialogue avec les autorités soudanaises concernant le déploiement de la force de maintien de la paix des Nations unies et de l’Union africaine au Darfour, les négociations de paix sur le Darfour et la mise en œuvre de l’accord de paix entre le Nord et le Sud Soudan. Cependant, nous restons convaincus qu’une absence de réaction du Conseil de sécurité face au manque de coopération du gouvernement soudanais avec la Cour, dans l’espoir qu’il se montre plus coopératif sur les autres questions, serait à la fois moralement inacceptable et stratégiquement inefficace. Le gouvernement soudanais interprèterait ce silence comme un aveu de faiblesse et serait conforté dans sa stratégie d’obstruction. Une nouvelle fois, la politique à court terme prendrait le pas sur la justice et sur l’établissement d’un état de droit. La CPI doit être affirmée comme un élément intégral et non négociable d’une solution globale du conflit au Darfour.

Nous sommes également conscients que plusieurs membres du Conseil de sécurité s’opposent pour diverses raisons à un rappel à l’ordre adressé au gouvernement soudanais. Cependant, selon nos informations, quelques membres du Conseil de sécurité entendent soutenir une réaction ferme du Conseil. La France doit absolument les rejoindre. Elle doit s’appuyer sur le fait que le processus judiciaire est enclenché, que l’autorité du Conseil est en jeu, et que dix des quinze membres du Conseil sont des Etats parties au Statut de Rome de la CPI pour conduire le Conseil à demander publiquement et fermement l’application des décisions de la Cour et l’arrestation des deux suspects.

Alors que la crise au Darfour atteint bientôt sa cinquième année, les violations des droits de l’Homme et du droit international humanitaire continuent d’y être commises par toutes les parties. La Cour pénale internationale est la seule juridiction capable aujourd’hui de juger d’une manière impartiale les principaux responsables de ces crimes. La France doit oeuvrer pour que les victimes obtiennent vérité, justice et réparation.

Nous vous remercions de votre attention et vous prions d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de notre très haute considération.

Signataires

Souhayr Belhassen, présidente, Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme

Jean-Pierre Dubois, président, Ligue des droits de l’Homme

Geneviève Sevrin, présidente, Amnesty International France

Marc Zarrouati, président, Action des chrétiens pour l’abolition de la torture

Paris, le 4 décembre 2007

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