28 octobre 2004 – Appréciations de la LDH sur le FSE de Londres, préparer le FSE d’Athènes

Les forums sociaux, européens comme mondiaux, se présentent comme des espaces de démocratie, ouverts et pluralistes. Ils aspirent à rassembler autour de l’idée d’alternatives au modèle néo-libéral et à faciliter les convergences les plus larges par la rencontre et le débat.

Partant de là, force est de constater que plusieurs événements qui se sont produits au sein du Forum Social Européen de Londres appellentde la part de la LDHquelques réflexions.

Chaque FSE comme chaque FSM se tient dans un pays donné et il serait donc illusoire de penser que les contingences propres au pays d’accueil n’ont aucune importance. L’une des qualités d’un FSE est d’ailleurs de tenir compte de la diversité du mouvement social, tant sur le plan politique stricto sensu, qu’en raison des expressions culturelles diverses qui s’y expriment.

Mais, l’interruption de la réunion plénière sur l’Irak, l’organisation et le déroulement du séminaire sur le port du voile (comme le communiqué envoyé sur ce sujet à l’AFP en réponse à un communiqué de cette agence), l’impossibilité d’entendre le Maire de Londres dans une plénière sur la lutte contre le fascisme et l’extrême droite, les incidents qui se sont déroulés lors de la manifestation, traduisent un profond malaise politique ainsi qu’un réel déficit du débat démocratique, tant dans la phase de préparation du FSE que pendant sa réalisation.

La LDH n’entend pas rejeter la responsabilité de l’ensemble des évènements sur les organisations qui composaient le comité d’organisation britannique pour le Forum Social Européen. Au-delà de critiques justifiées en matière d’organisation (le lieu d’accueil s’est avéré peu approprié au vu des conséquences d’une absence d’insonorisation qui nuisait fortement au suivi des débats auxquels on assistait), ce qui s’est produit doit être réfléchi très au-delà de la responsabilité du comité britannique.

La première impression est qu’il y a eu trois FSE. Le premier, regroupant une grande majorité d’événements, a concerné des thèmes (Europe sociale, mondialisation économique, institutions européennes, développement durable,…) qui ont réuni les organisations syndicales, les organisations environnementales, les réseaux européens, les organisations altermondialistes, les ONG actives pour le développement, les organisations des droits de l’Homme, et ceux qui s’inscrivent dans le dialogue avec elles. Là, les débats ont été riches, intéressants et sans heurt. Un second FSE, dont la place a été malheureusement la plus significative dans les médias, a concerné les sujets les plus d’actualité et/ou les plus chargés émotionnellement et là, soit ce furent des « grandes messes » (la plénière sur la Palestine, par exemple), soit des incidents se sont produits. Enfin, le FSE « off » fût réellement un « off », à l’inverse du FSE de Paris-Saint-Denis ou de Florence, le comité d’organisation britannique s’étant avéré incapable de créer à l’intérieur du FSE principal un lieu pour ces préoccupations. Cela a facilité une « opposition radicale » entre les deux manifestations.

La présence pesante et de tous les instants de militants de partis politiques, notamment du SWP, n’a pas amélioré les choses. Ils ont porté un discours préformaté à chaque fois qu’ils le pouvaient sans aucun souci de réelles confrontations d’idées. A titre d’exemple, cela s’est vu de façon caricaturale après l’intervention de quatre invités, deux Israéliens et deux Palestiniens qui venaient dire combien ils avaient besoin d’aide de la part des pays européens et de nos organisations. On entendit en réponse à cette demande et aux idées lancées par ces intervenants des discours maintes et maintes fois répétés, sur la nocivité (c’est un euphémisme) de la politique du gouvernement de M. Sharon et de M.  Bush.

 

Le séminaire sur le port du voile révèle, quant à lui, un déficit démocratique mais aussi le refus d’entamer de véritables débats de fond.

Rappelons, même si cela ne concerne pas directement le FSE, qu’une invitation avait été faite à la LDH de se rendre à la réunion publique organisée en juillet sur le même thème par le Maire de Londres avec nombre des organisations qui participaient à l’organisation du séminaire. Ayant indiqué que la LDH viendrait dire tout le mal qu’elle pensait de cette loi, son attachement à la liberté de conscience et donc au droit de porter ou non le voile, mais aussi le jugement négatif qu’elle porte sur ce que véhicule de manière générale ce symbole religieux et culturel (comme le fait que nombre de femmes sont soumises à des persécutions parce qu’elles ne le portent pas), elle s’entendit répondre que, tout compte fait, ce serait pour une autre fois…

La LDH, qui a exprimé clairement son rejet de la loi sur le port des insignes religieux à l’école, avait aussi dû refuser de participer au séminaire du FSE tel qu’il était conçu. Elle avait proposé, ce qui a été refusé, que le débat porte sur la liberté de conscience en Europe et non uniquement sur la loi.

Les outrances auxquelles le séminaire a donné lieu, ont provoqué une vague d’exaspération y compris de militant(e)s qui sont opposé(e)s à cette loi.

Le communiqué fait en réponse à une dépêche de l’AFP et qui prétend justifier ce qui s’est passé, notamment le caractère univoque du débat, ne fait qu’aggraver les choses. Affirmer qu’il est normal que le séminaire au FSE ne soit pas contradictoire, c’est s’enfermer dans une posture sectaire. Or, il s’agissait d’un débat qui anime le mouvement social, en tout cas en France, et non qui se déroulerait à l’extérieur à celui-ci. Ce fait, que les organisateurs du séminaire connaissaient parfaitement, suffisait à lui seul à justifier l’expression d’opinions divergentes au sein du séminaire. En présentant les adversaires de cette loi comme des antiracistes et ses partisans comme des racistes (voire au mieux comme des racistes qui s’ignorent), les organisateurs de ce séminaire ont manifesté une profonde ignorance de la situation française et du contenu de la laïcité telle qu’elle s’est construite en France. Ils ont, en fait, refusé d’aborder le sujet d’un autre point de vue que celui qu’ils voulaient imposer, ignorant la dimension non seulement française mais aussi européenne de la question (ce débat existe aussi, par exemple, en Belgique ou en Italie). Ce faisant, ils ont ouvert la porte à toutes les outrances et ont empêché un réel débat sur les discriminations que subissent les musulmans en Europe (et en France en particulier). Peut être encore plus important, ils ont refusé une réflexion sur les valeurs communes indérogeables qui fondent les droits de l’Homme (notamment l’égalité hommes-femmes) et sur la manière de faire vivre ces valeurs communes. Les discours qui ont été tenus lors du séminaire, qui vont du « sanglot de l’Homme blanc » (la pseudo impossibilité pour les féministes européennes de comprendre le problème parce qu’européennes) à un relativisme absolu (j’ai le droit parce que je le veux et que ceci vaut bien autre chose), assènent des vérités acquises mais ne permettent pas la réflexion politique nécessaire.

Il est évident que ce refus de débattre sur des problèmes aussi fondamentaux restreint toute portée politique réelle des positions prises et que cette faiblesse ne peut être masquée par l’anathème et l’invective.

En tout état de cause, le résultat le plus clair de ce qui a été ressenti par beaucoup comme une manœuvre, est d’avoir affaibli ceux qui, en France, refusent cette loi et ses conséquences. Cela a permis aux attaques malhonnêtes de SOS Racisme ou aux divers délires sur les islamo-gauchistes de prospérer.

Les problèmes que révèlent l’interruption de la plénière sur l’Irak, le refus de laisser s’exprimer un syndicaliste irakien (censure qui a impliqué, parmi d’autres, des militants français), l’interruption violente de la plénière sur la lutte contre le fascisme et l’extrême droite ne sont pas d’une autre nature et véhiculent les mêmes interrogations. Il ne s’agit pas « d’accidents », mais la conséquence d’une certaine forme de préparation et d’organisation du FSE et de certaines volontés politiques. Continuer ainsi, condamnerait le FSE à se transformer en un champ clos d’affrontements entre militants politiques cherchant à faire prévaloir leurs intérêts.

Si certains pensent qu’au-delà de « leur » vérité rien ne vaut, même au sein du mouvement, alors, ils se placent d’évidence en dehors de la démarche des forums et du processus dit de « Porto Alegre ». Ils se situeraient alors aux antipodes de l’engagement de la plupart des organisations participantes, dont la LDH.

Il nous faut donc réfléchir collectivement et posément à ce que doit être le prochain FSE et sa préparation, laquelle doit intégrer ces préoccupations. La LDH ne prétend pas avoir toutes les solutions en mains et encore moins être assurée de leur exactitude. Ces solutions doivent se construire en commun, ce à quoi nous sommes prêts. Les choses ne peuvent rester en l’état si nous voulons construire un  FSE capable de relever les défis posés par la construction d’une autre Europe.

Paris, le 27 octobre 2004

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