Projet de loi relatif au renseignement

Le gouvernement a décidé de présenter au Parlement un projet de loi sur le renseignement.

Ce projet a été présenté comme une nécessité à la suite des attaques terroristes du mois de janvier 2015. Il est destiné, selon le gouvernement, à renforcer les moyens de lutte contre le terrorisme tout en préservant les droits des citoyens.

La LDH observe tout d’abord six points qui lui paraissent essentiels.

1) Le projet de loi va bien au-delà de la lutte contre le terrorisme. Les raisons qui autorisent la mise en œuvre des moyens exorbitants du droit commun énumérés dans le projet sont au nombre de sept :

  • la sécurité nationale ;
  • les intérêts essentiels de la politique étrangère et l’exécution des engagements européens et internationaux de la France ;
  • les intérêts économiques et scientifiques essentiels de la France ;
  • la prévention du terrorisme ;
  • la prévention de la reconstitution ou du maintien de groupement dissous en application de l’article L 212-1 ;
  • la prévention de la criminalité et de la délinquance organisée ;
  • la prévention des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique.

Les deux restrictions énoncées aux articles 851-3 et 851-4 ne sont pas de nature à changer le caractère très général des dispositions ci-dessus.

2) Le projet de loi, suivant déjà en cela les dispositions déjà adoptées en matière de retrait des passeports et d’interdiction d’accès à des sites Internet, élimine tout contrôle du juge judiciaire. Bien que l’autorité judiciaire soit considérée par la Constitution comme étant « gardienne des libertés individuelles », elle perd tout pouvoir, dans le domaine concerné, au profit du seul Conseil d’Etat, consacré ainsi comme seul interlocuteur valable du gouvernement. L’autorité judiciaire est même subordonnée au Conseil d’Etat par les dispositions de l’article 841-1, dernier alinéa. La présence de deux magistrats de la Cour de cassation dans la commission n’est pas de nature à modifier cette appréciation.

3) Le projet de loi organise, si ce n’est de droit de fait, l’impunité des agents de l’Etat qu’ils soient responsables politiques ou simples agents d’exécution. En organisant l’anonymat généralisé des agents d’exécution, en couvrant du secret défense la totalité des actes intervenus dans le cadre de la loi, en confiant au Conseil d’Etat le soin d’indemniser d’éventuelles victimes, en subordonnant une décision judiciaire à l’intervention du Conseil d’Etat, le projet de loi interdit de fait toutes poursuites pénales. Ce n’est pas l’allocation d’une indemnisation par le Conseil d’Etat ou le fait que celui-ci puisse transmettre une procédure au procureur de la République (qui , en confiant au Conseil d’ sitaura d’ailleurs bien du mal à mener une enquête…) qui sont de nature à combattre l’impunité ainsi accordée.

4) La composition de la commission de contrôle implique une intervention massive du législateur (quatre membres sur neuf…), donc du politique au même titre que le fait que ce soit le Premier ministre qui nomme les membres issus du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation et le Président (qui a voix prépondérante). Elle ne bénéficie donc pas d’un quelconque caractère d’indépendance. Ses pouvoirs sont limités dès lors que le Premier ministre peut passer outre dans certains cas et qu’elle est astreinte à ne saisir le Conseil d’Etat que dans des conditions restrictives et jamais automatiques.

5) Les moyens qui peuvent être mis en œuvre entraînent, de fait, une disparition du secret professionnel et des sources, et conduisent à une forme généralisée de surveillance pour des raisons qui dépassent de très loin la seule lutte contre le terrorisme.

6) En matière de communications émises de l’étranger ou émises de France à destination de l’étranger, les pouvoirs publics s’affranchissent de tout contrôle (article L 854.1), ce d’autant plus que ce domaine sera soumis au régime du décret non publié, c’est-à-dire que les communications émanant de l’étranger, fût-ce entre deux Français, pourront faire l’objet d’une interception à la guise et selon le bon vouloir des pouvoirs publics dans des conditions occultes et qui ne permettront aucun recours. Quant aux communications émises et reçues, le projet aligne les pouvoirs de la puissance publique sur ceux qui sont reprochés à d’autres puissances.

Ces points ne sont pas exhaustifs. La LDH les considère comme les plus importants en ce qu’ils révèlent une vision des rapports sociaux et des équilibres institutionnels dangereuse pour la démocratie et la citoyenneté.

La LDH constate, à regret, tout d’abord que, rejoignant des pratiques constantes depuis trente ans, quelle que soit la couleur des majorités politiques, prenant prétexte de la nécessaire lutte contre le terrorisme, les pouvoirs publics accroissent leurs pouvoirs, sans contrôle réel, à des domaines qui n’ont rien à voir avec le terrorisme. L‘étendue des sept items décrits à l’article 811-3 permet de s’assurer qu’au nom de la lutte contre le terrorisme, c’est l’activité des syndicats, des ONG, des partis politiques, des cultes, de la société civile dans son ensemble qui peut faire l’objet d’une surveillance, et même d’une intrusion.

Ce projet de loi n’organise pas la lutte contre le terrorisme, il organise une surveillance généralisée de la société tout entière.

Il remet entre les mains de la puissance publique la vie privée des citoyens, leur capacité d’inventer, de créer, de discuter à l’abri de toute intervention et de tout regard de la puissance publique, faisant du soupçon la règle et en créant, de fait sinon de droit, l’impunité de ses agents.

Le projet abandonne tout contrôle réel de la puissance publique, le recours au Conseil d’Etat n’étant qu’un alibi, d’autant mieux accepté par cette juridiction qu’elle lui reconnaît un rôle jusqu’ici dévolu au juge judiciaire.

La LDH relève et déplore cet abaissement de l’autorité judiciaire, pourtant constitutionnellement garante des libertés individuelles. Ceci signifie un bouleversement de l’ordre institutionnel au seul profit de l’exécutif.

Et il nous importe peu que les auteurs et promoteurs de ce projet de loi soient des républicains. Nous ne sommes pas sur le terrain de la confiance que l’on doit faire à l’Etat mais sur le terrain de nos libertés et du contrôle des actes auquel l’Etat doit être astreint dès qu’il limite les libertés individuelles et collectives. Un homme ou une femme en charge d’une responsabilité politique doit avoir l’humilité de comprendre qu’une loi intrinsèquement mauvaise le sera encore plus entre de mauvaises mains.

Après avoir soumis le retrait des passeports et l’interdiction d’accès à certains sites au contrôle a posteriori du seul juge administratif, après avoir modifié les dispositions de la loi de 1881 de telle manière qu’un propos d’ivrogne devienne une apologie du terrorisme, le gouvernement use des attentats de janvier 2015 comme un prétexte pour faire adopter un projet, prêt sans doute depuis déjà longtemps, qui renforce ses pouvoirs de contrôle bien au-delà de ce qui est nécessaire. Et cela avant de s’apprêter à porter un coup à la liberté d’expession par une nouvelle modification de la loi de 1881.

Nous savons que l’invitation qui nous a été faite d’être auditionné par le rapporteur du projet de loi relève des formes utiles à accréditer l’idée qu’une concertation a eu lieu. Nous ne sommes pas dupes : la LDH n’est pas une assemblée de citoyens qui entérinera de telles atteintes aux libertés pourvu que la forme soit respectée.

Nous mettons en garde : ce projet de loi autorise tous les excès, tous les débordements, toutes les « affaires » et toutes les atteintes aux libertés.

L’avoir conçu est déjà inquiétant, l’adopter ferait de lui un des textes « scélérats » qui ont parsemé les pages noires de la République.

 

Paris, le 24 mars 2015

 

Télécharger la note sur le projet de loi sur le renseignement

 

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