La lettre épisodique de Mom, n° 35 – septembre 2015

I. Singularités ultramarines de plusieurs réformes législatives

A. Réforme du droit d’asile

La loi du 29 juillet 2015 relative à l’asile s’applique dans tout le territoire national (métropole et outre-mer). C’est en effet le cas de la partie “asile” du code des étrangers (Ceseda) contrairement aux autres parties qui ne s’appliquent qu’aux DOM et aux collectivités d’Amérique. Pourtant la loi prévoit des points spécifiques à l’outre-mer : ainsi, le demandeur d’asile en rétention reste privé de droit à un recours effectif devant la Cour nationale du droit d’asile ; et il n’y aura ni ATA, ni CADA pour l’accueil des demandeurs d’asile à Mayotte.

Précisions :

B. Droit des étrangers

Un projet de loi relatif au droit des étrangers (dit « petite loi ») a été adopté par l’assemblée le nationale le 25 juillet ; il sera examiné par le Sénat le 13 octobre.

Plusieurs dispositifs dérogatoires pour l’outre-mer avaient été prévus par le projet de loi initial du gouvernement : voir le chapitre outre-mer d’une analyse interassociative de ce projet et l’analyse complète).

L’outre-mer n’a guère préoccupé les députés :

Pour s’informer sur les étapes et les analyses de l’ensemble de ce projet de loi, voir un dossier.

C. Le Ceseda au rabais instauré à Mayotte est approuvé par le Conseil d’État et par l’Assemblée nationale

Sur ce texte voir : Extension très adaptée du Ceseda à Mayotte applicable depuis le 26 mai : présentation et analyse

1. Recours interassociatifs en annulation rejetés par le Conseil d’État

Rejet des deux requêtes déposées – contre une ordonnance du 7 mai 2014 et un décret du 23 mai 2014 : CE 22 juill. 2015, req. N° 381550, CE 22 juill. 2015, req. N° 383034.

2. Ratification adoptée sans débat par l’assemblée nationale

Le projet de loi relatif aux droits des étrangers comporte un article ratifiant l’ordonnance du 7 mai 2014 créant l’extension à Mayotte de la partie législative du Ceseda avec de nombreuses dérogations très contestables. Les députés auraient pu refuser de ratifier un texte important qui n’avait été soumis à aucun débat démocratique avant qu’ils aient pu en débattre : ils n’ont pas vu d’obstacle à cette ratification.

Seul le député de Mayotte, Ibrahim Aboubacar, a pris la parole pour approuver ces « adaptations » du droit commun à Mayotte. Après avoir rappelé le volume des arrivées de migrants à Mayotte et des reconduites à la frontière, il ajoute : « Cette réalité, mise en face de la capacité des pouvoirs publics à la traiter selon nos normes de droit commun, conduit immanquablement à des adaptations. Celles-ci, je le sais, peuvent heurter des consciences, ou des principes, quoique l’ordonnance précitée les ait rendues compatibles avec nos engagements européens notamment. Mais quiconque a séjourné à Mayotte se rend compte de leur caractère nécessaire et parfois impératif […] ».

II. Océan Indien

  1. Aux frontières de l’Europe et de Mayotte : mêmes politiques, mêmes drames, mêmes impasses

Parallèle rappelé par France 24 (19 septembre) et par Témoignages (Réunion, 4 septembre 2015).
Avec un focus de France 24 sur le CRA de Mayotte et une intervention de Lucie Curet, responsable pour la Cimade de l’action dans des CRA en outre-mer.

  1. Tension diplomatique aux Jeux des îles de l’océan Indien

Rupture d’un consensus accueillant les athlètes de l’« île de Mayotte » sous réserve qu’ils n’arborent aucun signe français : les Mahorais suivent le drapeau français et chantent la Marseillaise ; les Comoriens quittent alors les jeux.

III. Caraïbes

A. Déportation de nombreux Haïtiens depuis la République dominicaine

Risques d’apatridie dues aux déportations de la République Dominicaine vers Haïtirapport d’une mission de l’OEA (29 juillet 2014) présenté par le Collectif Haïti de France (29 juillet 2015)

B. Haïtiens au Brésil

De très nombreux Haïtiens ont trouvé refuge au Brésil depuis 2010. La politique menée à leur égard semble relativement accueillante.

Cependant, selon le Groupe d’Appui aux Rapatriés et Réfugiés (GARR), les migrants haïtiens rencontrent actuellement de plus en plus difficultés.

IV. Actions contentieuses

A. Barrages policiers permanents en Guyane

Huit associations – Aides, la Cimade, le Collectif Haïti de France, le Comede, la Fasti, le Gisti, la Ligue des droits de l’Homme et Médecins du Monde – avaient déposé devant le tribunal administratif de Cayenne des recours en annulation contre des arrêtés renouvelant régulièrement ces barrages.

Voir un dossier complet de cette affaire.

Le TA de Cayenne (18 décembre 2014) puis la Cour administrative d’appel de Bordeaux (18 Juin 2015) ont rejeté ces recours au motif que « eu égard à la généralité de [leurs objets selon leurs statuts] et à leur champ d’action national, ces huit associations ne justifient pas, chacune, d’un intérêt leur donnant qualité à agir contre les arrêtés contestés du préfet de la Guyane ». L’affaire a été portée en cassation.

B. Recours contre l’exécution expéditive des reconduites à la frontière depuis Mayotte

En 2014, on comptait 19 991 éloignements, en moyenne 0,78 jour en rétention ; 5 582 enfants enfermés dans un centre de rétention soit environ 5 000 éloignés (voir ci-dessous). C’est dire qu’il est bien rare qu’un recours puisse être déposé avant l’éloignement ou avant la décision du juge.

Une bonne partie des enfants éloignés le sont sans être accompagnés par une personne ayant à leur égard une autorité parentale. L’usage (illégal) est de les rattacher fictivement à un autre adulte éloigné en même temps.

Voici deux recours qui ont pu être déposé sans empêcher pour autant l’éloignement. L’illégalité de la procédure est reconnue mais cela ne suffit pas à faire revenir la personne concernée.

V. Détention en outre-mer

Observatoire international des prisons : «  Les prisons d’outre-mer sont au bord de l’explosion. En un mois, des mouvements de détenus ont éclaté en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie, en Martinique et en Guyane. Ces prisons cristallisent les problèmes constatés ailleurs en France : surpopulation endémique, défaut d’entretien de locaux délabrés, manque d’activité et de travail, violence, atteintes à leurs droits et leur dignité » (juiln 2015).

Outre-mer : la politique carcérale à bout de souffle (Guyaweb, 19 juin 2015)

Mouvement collectif de détenus dans la prison de Remire-Montjoly en Guyane, juillet 2015: deux mutineries de prisonniers contre les conditions de leur détention

Les conditions de détention dans la prison de Ducos en Martinique toujours aussi indignes : saisine de la Cour européenne (février 2015), visite de Christiane Taubira (22 juillet 2015)

IV. Publications et rapports

A. Caraïbes

1. Au cœur des ténèbres de la friendly island : migrations, culture et sida à St. Martin, Catherine Benoît, Herrmann, 2015

    Présentation, sommaire et achat en ligne

2. Guide d’accès aux droits en Guyane, LDH, 2015)

Guide pratique destiné à apporter des réponses aux difficultés les plus souvent rencontrées en Guyane ; il fait suite à la mission de fin 2014 sur les carences institutionnelles en matière d’état civil et à son rapport.

B. Nouvelle-Calédonie

1. Racisme et discriminations en Nouvelle-Calédonie, LDH de Nouvelle-Calédonie,

cahier de la LDH-NC n° 5, juillet 2015

2. « Des relations professionnelles politisées dans le prisme du militantisme kanak »

par Stéphane Lequeux et Stéphanie Graff, Chronique internationale de l’IRES, n° 150, juin 2015

C. Rétention

La rétention en 2014, Cimade, Ordre de Malte, ASSFAM, FTDA et Forum réfugiés : 

  • deux comparaisons tirées du rapport.
Sujet Métropole Outre-mer
Personnes enfermées en CRA 24 072 21 322
Personnes enfermées en LRA 2 299 1 844
Éloignements forcés 15161 28210

 

Sujet Métropole Mayotte
Personnes enfermées en CRA 24 072 21 322
Personnes enfermées en LRA 2 299 1 381
Dont enfants en rétention 110 5 582
Durée moyenne de la rétention 12,3 jours 0,78 jour
Éloignements forcés 15 161 19 991

D. Rapport du commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, Nils Muižnieks, sur certaines adaptations du droit en outre-mer

Rapport du 17 février 2015 suite à sa visite en France, du 22 au 26 septembre 2014 (mis sur le site Mom en juin)
Le rapport épingle des adaptations du droit concernant, en outre-mer, l’accueil des demandeurs d’asile, les mineurs isolés étrangers et les voies de recours contre des mesures d’éloignement.

« S’agissant de la situation outre-mer, le Commissaire estime que la pression migratoire subie par un territoire ne devrait pas justifier des dérogations ayant pour effet de restreindre les garanties procédurales en matière d’asile et d’immigration. Il appelle donc les autorités à assortir sans délai les recours existant outre-mer d’un effet suspensif de plein droit, qui constitue l’une des conditions de leur efficacité. » (§132)

La Cour européenne des droits de l’Homme s’était prononcée dans des termes analogues (arrêt De Souza Ribeiro, 13 décembre 2012).

E. Pidesc

F. Régimes d’exception en outre-mer

Depuis juillet 2015, les deux publications suivantes sont téléchargeables en cliquant sur les liens suivants :

Régimes d’exception en outre-mer pour les personnes étrangères, Gisti, Mom, La Cimade, coll. Les cahiers juridiques, 2012

Singularités mahoraises du droit des personnes étrangères, Gisti, coll. Les cahiers juridiques, 2015

La première est encore valable dans tout l’outre-mer sauf à Mayotte depuis que le droit qui s’y applique est le Ceseda (au rabais) mentionné ci-dessus. La seconde publication porte spécifiquement sur Mayotte et doit substituer la première lorsqu’il s’agit de connaître les droits des étrangers à Mayotte.

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Collectif Migrants outre-mer (MOM)
mom@migrantsoutremer.org

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