Lettre ouverte du REMDH concernant la détention arbitraire

Lettre ouverte de Michel Tubiana, président du REMDH, adressée au Juge El Hadji Malick Sow, président-rapporteur du groupe de travail sur la détention arbitraire, au sujet de la détention arbitraire et de la mission au Maroc du 9 au 18 décembre 2013.

Bruxelles, le 9 décembre 2013

Monsieur le Président,

Le Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme (REMDH) salue la mission entamée aujourd’hui au Maroc par le groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire. Dans le contexte de cette mission de dix jours sur le terrain, le REMDH souhaiterait attirer votre attention sur le recours systématique aux détentions arbitraires par les autorités marocaines et sur les violations des droits des détenus qui en découlent.

En 2003, le Maroc a adopté la loi n° 03-03 du 28 mai 2008 sur la lutte contre le terrorisme, qui prévoit une définition très large du terme « terrorisme » et permet donc aux autorités marocaines de procéder à des arrestations aveugles à grande échelle. Les actes pouvant être considérés comme terroristes dans le cadre de cette loi incluent la critique des politiques du gouvernement, la falsification de documents, le blanchiment d’argent, les vols commis avec violence, ainsi que la dégradation volontaire de biens publics. Ce texte de loi va jusqu’à criminaliser l’éloge d’actes considérés comme « constituant des infractions terroristes », que ces éloges soient exprimés par écrit, à l’oral ou via des documents imprimés.

De plus, cette loi permet à la police de maintenir un coupable présumé en garde à vue dans des conditions qui constituent de flagrantes violations du droit international des droits de l’Homme. Les présumés coupables peuvent être détenus pendant 12 jours sans être présentés devant un juge et souvent sans être informés des accusations portées à leur encontre. Ils sont régulièrement détenus au sein d’installations secrètes où nombre d’entre eux sont victimes de mauvais traitements et d’actes de torture. En outre, la limite de 12 jours pour la garde à vue est fréquemment dépassée et les membres de la famille ne sont pas informés de la détention de leurs proches.

L’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) interdit les arrestations et les détentions arbitraires et stipule que «Nul ne peut être privé de sa liberté, si ce n’est pour des motifs, et conformément à la procédure prévus par la loi». Ce même article garantit le droit à toute personne arrêtée d’être informée des raisons de cette arrestation et des accusations portées contre lui, d’être « traduit[e] dans le plus court délai devant un juge» et d’être jugée « sans délai» ou libéré(e). Dans son observation générale n° 8, le Comité des droits de l’Homme précise que les détenus doivent être présentés devant un juge dans les plus brefs délais. Le droit à un procès équitable est par ailleurs compromis lorsque l’accès rapide et régulier à un avocat est refusé, une protection primordiale contre des abus tels que la torture et les aveux obtenus sous la contrainte.

En outre, malgré les réformes annoncées de la politique migratoire marocaine, les arrestations collectives et la détention arbitraire routinières d’immigrés clandestins demeurent un sujet de préoccupation majeur. En attendant leur expulsion du pays, les migrants sont détenus sans que la moindre procédure judiciaire, pénale ou administrative ne soit lancée. Ils sont détenus dans diverses installations, qu’il s’agisse de casernes de l’armée, de postes de police ou encore de cabanes dans les bois. Ils n’ont pas accès à un avocat ou à un interprète et n’ont pas le droit à un procès équitable devant un tribunal compétent et impartial.

Ces pratiques, dont font surtout l’objet les migrants originaires d’Afrique subsaharienne, constituent une violation flagrante du droit marocain et international. La loi 02-03 relative à l’entrée et au séjour des étrangers au Royaume du Maroc, à l’émigration et l’immigration irrégulières (ci-après loi 02-03) garantit le droit à être traduit devant un juge dans les 24 heures (article 35) et stipule que les détenus peuvent demander l’assistance d’un avocat et d’un interprète et qu’ils peuvent contacter le consulat de leur pays ou une personne de leur choix (article 36). De plus, l’article 16(4) de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille stipule que «les travailleurs migrants et les membres de leur famille ne peuvent faire l’objet, individuellement ou collectivement, d’une arrestation ou d’une détention arbitraire; ils ne peuvent être privés de leur liberté, si ce n’est pour des motifs et conformément à la procédure prévus par la loi».

Le REMDH exhorte donc le groupe de travail sur la détention arbitraire à exercer des pressions sur les autorités marocaines, afin que ces dernières :

– fassent respecter les dispositions de l’observation générale n° 8 portant sur l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) adoptée par le Comité des droits de l’Homme, ainsi que la législation marocaine relative à la garde à vue ;

– fassent respecter la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, ainsi que les dispositions de la loi 02-03 conforme aux normes internationales, afin que les migrants privés de liberté ne soient plus détenus en dehors de tout cadre juridique et qu’ils puissent bénéficier de toutes les garanties légales ;

– mettent immédiatement un terme à toutes les détentions secrètes, y compris celles réalisées au sein d’infrastructures de détention non reconnues ;

– réaffirment le principe selon lequel les détentions arbitraires devraient être proscrites, la détention des immigrés ne devrait être possible qu’en dernier recours et dans tous les cas, les conditions de cette détention devraient respecter les normes fondamentales des droits de l’Homme et les conventions internationales dont le Maroc est un pays signataire.

Enfin, le REMDH vous encourage vivement, ainsi que le groupe de travail de l’ONU, à rencontrer des organisations locales de la société civile lors de votre mission, afin d’aborder les implications juridiques et factuelles pour les victimes de détentions arbitraires au Maroc.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de mes respectueuses et sincères salutations.

Michel Tubiana

Président du REMDH

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