Sortie le 1er octobre 2025
C’est un documentaire particulièrement intéressant que nous livre le réalisateur, vidéaste et anthropologue belge Johan Grimonprez, sur les évènements qui ont conduit à l’assassinat de Patrice Lumumba, premier ministre de la République du Congo (le pays ne prendra le nom de République démocratique du Congo – RDC – qu’en 1964 pour se différencier de son voisin le Congo Brazzaville). Y sont mêlées les réactions qui ont suivi à l’ONU notamment après l’irruption,avec une soixantaine de militant.e.s des droits civiques de la chanteuse de jazz Abbey Lincoln et du batteur Max Roach, dans une session du Conseil de sécurité de l’ONU pour protester contre cet assassinat et le silence international dont il était entouré.
Le film n’est pas un documentaire classique. Il nous emmène, sans commentaire, directement dans l’actualité de ce début des années 60 marquée par l’indépendance de nombreux pays notamment en Afrique et la Guerre froide à travers des images d’archives en partie inédites[1], des coupures de journaux, des citations, des extraits d‘interviews et de remarquables fragments musicaux des grands du jazz de cette époque (la bande son : Soundtrack). Il fait remarquablement dialoguer politique et musique et nous immerge dans cette période douloureuse de l’Histoire.
On vit presque au jour le jour les quelques mois, pour ne pas dire quelques semaines, que Patrice Lumumba a passé au pouvoir et sa confrontation aux autorités belges qui souhaitent garder le contrôle des trop riches ressources minières de l’ex Congo belge notamment en soutenant la sécession du Katanga, l’une des plus riches régions minières du pays*.
C’est toute l’histoire de la décolonisation qui nous est ainsi racontée avec l’opposition des deux blocs car très vite Nikita Khrouchtchev va comprendre le profit qu’il peut tirer de la situation et est le premier à initier une résolution demandant la décolonisation. Il pense qu’il va pouvoir déstabiliser les Etats-Unis et compter sur une nouvelle majorité avec l’intégration à l’ONU de seize États africains, dont le Congo. C’est le moment de la constitution du mouvement des non alignés et l’on voit passer les images de G.A. Nasser et de J. Nehru. C’est aussi le moment où les Etats Unis instrumentalisent des musiciens de jazz en les envoyant comme ambassadeurs en Afrique dont Dizzy Gillespie et Louis Armstrong, sans aucun doute pour détourner l’attention du coup d’État et des réactions qu’il produit aux USA en plein mouvement des droits civiques.
Jazz et politique s’entremêlent pour nous faire (re)découvrir cet incroyable épisode de la guerre froide et de la décolonisation.
Même si le film peut paraitre un peu long, c’est un outil pour débattre et explorer cette période charnière de l’Histoire moderne d’autant que distributeur et réalisateur sont prêts à accompagner le film.
A noter que le film a été nommé aux Oscars.
Réalisation : Johan Grimonprez
Distribution : Les Valseurs
Durée : 2h30
* En 1959, les autorités belges tentent d’affaiblir les mouvements indépendantistes en organisant une terrible répression. Des centaines de victimes sont à déplorer… Patrice Lumumba est arrêté (et sans doute torturé) comme la plupart des dirigeants indépendantistes des mouvements considérés comme « les plus radicaux » : l’ABAKO (association indépendantiste) et le MNC (mouvement national congolais). Les autorités belges tentent alors de réunir les autres forces de l’opposition congolaise mais ces dernières refusent toute discussion en l’absence de P. Lumumba. Désarçonnées par ce front uni, les autorités belges accordent immédiatement l’indépendance au Congo fixée au 30 juin1960 et ce, alors même que les indépendantistes ne plaidaient pas pour une indépendance immédiate ayant notamment conscience de l’arbitraire des frontières par rapport aux colonies voisines (problème toujours ouvert aujourd’hui notamment à l’Est de la RDC toujours avec l’objectif de récupérer les formidables richesses de ce pays[2]).
En mai, le MNC (parti de Patrice Lumumba) arrive en tête du scrutin lors des premières élections générales organisées au Congo belge. Le dirigeant de l’ABAKO Joseph Kasa-Vubu (arrivée en 2ème place) devient Président de la République et nomme immédiatement Patrice Lumumba Premier ministre. Le jour de l’indépendance, en présence du roi Baudouin et de plusieurs ministres du gouvernent belge, Patrice Lumumba prononce un discours sans équivoque sur sa vision de l’indépendance qu’il veut désormais rapide et complète (alors que les autorités belges avaient imaginé un plan sur 30 ans). Il dénonce les abus de la politique coloniale belge depuis 1885 tout en marquant nettement son attachement à la non-violence.
Des émeutes éclatent rapidement et le gouvernement belge envoie des troupes (avec l’accord implicite de l’OTAN) jugeant que les autorités congolaises ne peuvent plus garantir la sécurité et assurer la protection des ressortissants belges. Le Katanga annonce sa sécession dés le 11 juillet 1960 par la voie de Moïse Tshombé, l’un de ceux qui participeront ensuite à l’assassinat de Patrice Lumumba. Ce dernier en appelle en réaction à la solidarité africaine. Le 4 septembre 1960, le président J.Kasa-Vubu révoque P. Lumumba ainsi que les ministres nationalistes, alors qu’il n’en a constitutionnellement pas le droit ; il le remplace dès le lendemain matin. Le bras de fer entre les deux hommes durera quelques jours mais dès le 14 septembre, le chef d’état-major adjoint des armées, un certain Joseph Désiré Mobutu organise un coup d’Etat avec l’aide de la CIA. P. Lumumba est assigné à résidence, s’échappe mais est définitivement arrêté le 1er décembre. Le 17 janvier 1961, Patrice Lumumba et deux de ses partisans, Maurice Mpolo et Joseph Okito, sont conduits par avion au Katanga, et livrés aux autorités locales. Humiliés et torturés par des responsables katangais, dont Moïse Tshombé mais aussi des Belges, ils seront fusillés le soir même.
[1] Pour voir notamment l’extraordinaire travail fait pour ce film par le réalisateur, lire son interview https://www.rayonvertcinema.org/soundtrack-to-a-coup-d-etat-johan-grimonprez/
Pour comprendre la vie des populations dans cette partie de la RDC, il est possible d’aller voir : « Le sang et la boue » sortie en salle le 27 août https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/08/27/le-sang-et-la-boue-ou-la-tragedie-des-chercheurs-de-coltan-en-rdc_6636250_3246.html
