Mayotte, démolitions des quartiers pauvres sous couvert de la loi Elan

Rapports de la LDH

Dans le cadre de ses missions de défense d’égalité des droits pour toutes et tous, la LDH (Ligue des droits de l’Homme) publie – comme chaque année depuis 2021 – un rapport sur les démolitions des quartiers pauvres à Mayotte en 2024 sous couvert de la loi Elan.

La France administre Mayotte avec la volonté sans cesse réaffirmée de déroger au droit commun dans tous ses actes réglementaires et législatifs. L’article 197 de la loi Elan donne ainsi pouvoir aux préfets de la Guyane et de Mayotte de détruire l’habitat pauvre sous motif d’occupation illégale du foncier, d’insalubrité des habitations ou d’indignité des conditions de vie. Découlent de cette politique menée à Mayotte la criminalisation et le déni des droits des personnes vivant dans des habitations précaires.

En effet depuis 2019, année de la mise en application de la loi Elan, le préfet a multiplié les arrêtés de démolitions et, petit à petit, s’est affranchi de la seule obligation à l’égard des populations délogées que lui imposait l’article, à savoir qu’une proposition de relogement ou d’hébergement d’urgence adaptée à chaque occupant soit annexée à l’arrêté. Une obligation dont il ne reste presque rien au terme de quatre années de destruction, de la publication de 36 arrêtés et de la démolition de 34 quartiers. En 2024, ce sont six arrêtés de démolition qui ont été pris, délogeant une population estimée à 4600 habitants.

La préfecture ne fait même plus semblant de respecter l’obligation de reloger inscrite dans l’article 197 : le recensement des populations n’est pas publié. Le nombre de logements visés reste approximatif. Cette grave lacune entrave l’accès au droit des populations menacées par l’arrêté dans la mesure où, non nommées, les familles ne peuvent être notifiées et leur droit au recours devant le tribunal administratif empêché dans la mesure où elles ne peuvent apporter la preuve que l’arrêté les concerne.

La LDH demande le respect du droit à un logement et s’oppose à ces mesures dérogatoires du droit commun. Le préfet de Mayotte doit rétablir l’accès républicain aux services publics à toutes et à tous, avec l’exigence de respecter l’égalité des droits. 

L’année 2023 fut marquée par l’affaire du Wuambushu qui a défrayé la chronique durant les deux ou trois premières semaines de l’opération. Sur son volet résorption de l’habitat insalubre, le projet de détruire mille habitations en tôle dans huit quartiers, à raison d’un par semaine, s’est heurté à des questions juridiques. La préfecture voulait inaugurer le cycle de démolition par la destruction du quartier Talus 2 pourtant sous protection de justice depuis la suspension de l’arrêté par le tribunal administratif. Une telle erreur de stratégie fut fatale à l’opération : au lieu de 1000 logements détruits en huit semaine, le bilan annuel, toutes démolitions comprises, affiche un nombre de 667 habitations en tôle démolies.

Mais il semble aussi que les obligations légales n’avaient pas été envisagées, en témoigne le fait que, au début de l’opération, seul un arrêté avait été publié, celui concernant le quartier Barakani dans la commune de Koungou. Sauf à fonder la démolition des quartiers ciblés sur d’autres dispositifs que la loi Elan, le programme n’était juridiquement pas réalisable puisque l’article 197 de la loi prévoit un délai de cinq semaines entre la notification aux habitants et l’exécution de l’arrêté. Nous n’en saurons rien, car l’opération s’est grippée. Prévu pour durer huit semaines, le programme n’est à ce jour pas achevé.

Il y a plus grave : tout recours à la justice sur la politique de démolitions des quartiers est à présent compromis. L’arrêté du 19 septembre ordonnant la démolition du quartier de Doujani avait été dénoncé par cinq familles accompagnées par la LDH et suspendu par l’ordonnance du 8 décembre 2022. Une petite astuce a cependant permis au préfet de procéder malgré tout à la démolition du quartier le 17 janvier 2023 : rejetant l’intérêt à agir de la LDH, le président du tribunal administratif limitait de facto les effets de l’ordonnance aux seules familles requérantes.

La LDH déposa un recours devant le Conseil d’Etat qui, dans sa décision du 19 juillet 2023, cassa l’ordonnance de première instance et confirma l’intérêt à agir de l’association.

La politique de résorption de l’habitat insalubre sous couvert de la loi Elan, notamment de son article 197 spécifique aux départements d’outre-mer de Guyane et de Mayotte, a été marqué par quelques contentieux fin 2021, début 2022.

Ces contentieux ont eu pour principal effet de ralentir le programme de destruction affiché au rythme d’un bidonville par mois dans les communiqués de presse de la préfecture.

Alors qu’officiellement 1652 cases avaient été détruites dans le courant de l’année 2021, le bilan de l’année 2022 en cours n’a pas fait l’objet de communiqué ni du fameux baromètre de l’habitat illégal dont les parutions ont été interrompues.

Finalement le préfet est arrivé à ses fins. Le tribunal administratif l’a autorisé à exécuter tous les arrêtés pris en 2021, notamment ceux de La Pompa et Miréréni sur la commune de Tsingoni, et celui de Mnyambani sur la commune de Bandrélé.

Si l’on se fie aux chiffres annoncés dans les communiqués de presse qui ont suivi les exécutions, un premier bilan des opérations peut être esquissé.

La démolition des quartiers pauvres de Mayotte sous couvert de la loi Elan se caractérise toujours par des contradictions entre les arrêtés et les réalisations, le nombre d’habitations détruites est toujours supérieures à celui annoncé dans les arrêtés. Les annexes des arrêtés sont également contradictoires entre elles : les rapports de la gendarmerie, de l’ARS et de l’ACFAV ne s’accordent jamais sur le nombre d’habitations installées sur les parcelles concernées. Les familles et les habitations ne sont pas clairement identifiées ; l’obligation de relogement qui figure dans l’article 197 de la loi n’est jamais remplie : il ne s’agit que d’un hébergement d’urgence de trois semaines dont le principe aurait été rappelé aux familles, comme seule obligation supposée par le préfet. Seule apparait la mention « une solution d’hébergement a été proposée » aux familles.

Documents réalisés par Daniel Gros, référent de la LDH à Mayotte

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