Le corps électoral de sortie : enjeu politique pour l’avenir de la Nouvelle-Calédonie

Par la LDH de Nouvelle Calédonie

 

Un rappel historique

En 1853, la Nouvelle-Calédonie a fait l’objet d’une prise de possession unilatérale par la France impériale, créant une situation coloniale qui a privé les Kanak de leur droit inaliénable à l’autodétermination et altéré l’exercice de la démocratie jusqu’en 1946. Les Kanak étaient alors soumis au régime de l’indigénat qui distinguait des citoyens français (de souche métropolitaine) et des sujets français (les Kanak de souche calédonienne et les immigrés). Ce code de l’indigénat permettait à l’administration coloniale de réquisitionner les Kanak durant des périodes de travail obligatoire. Ils étaient également privés de leur liberté et de leurs droits politiques. Ce n’est qu’en 1946, après l’abolition du code de l’indigénat, que les kanak sont devenus des « citoyens français” » et qu’en 1957 ils accédèrent de facto à leur droit de vote.

En 1996, l’Organisation des Nations-Unies a reconnu au seul peuple Kanak, peuple indigène de ce pays, son droit à l’autodétermination en le réinscrivant, en 1986 sur la liste des pays à décoloniser.La revendication Kanak de ce droit a conduit aux événements des années 84 à 87. La paix a été rétablie grâce aux accords de Matignon-Oudinot en 1988 et par l’accord de Nouméa en 1998.

Tous les partis ont fait des concessions. La France a reconnu le fait colonial et décidé d’y mettre fin. En contrepartie, les Kanak ont accepté que le corps électoral soit élargi aux personnes arrivées depuis un certain temps dans la colonie.

Deux corps électoraux particuliers sont donc définis :

  • celui des citoyens qui éliront leurs représentants aux assemblées de province et donc au Congrès, pour assurer la gestion autonome du pays. Comprenant déjà l’ensemble des personnes présentes sur le territoire en 1988, il comprendra de plus celles inscrites sur la liste électorale générale de 1998 au fur et à mesure qu’elles auront dix ans de présence sur le territoire. A donc été créé, un « tableau annexe » pour recenser ces personnes.
  • celui des citoyens qui exerceront leur droit à l’autodétermination du pays sera élargi aux personnes pouvant justifier d’une durée de 20 ans de domicile continu en Nouvelle-Calédonie à la date de la consultation.

 

Les corps électoraux

Le droit électoral se caractérise donc en Nouvelle-Calédonie par la présence de plusieurs corps électoraux : le corps électoral pour les scrutins européens, nationaux et municipaux qui comprend tous les citoyens français inscrits sur la liste électorale générale de Nouvelle-Calédonie ; le corps électoral spécial pour les élections au congrès et aux assemblées de province.

Fixé par l’article 188 de la loi organique, les électeurs doivent satisfaire à l’une des conditions suivantes :

a) Remplir les conditions pour être inscrits sur les listes électorales de la Nouvelle-Calédonie établies en vue de la consultation du 8 novembre 1998 ;

b) Être inscrits sur le tableau annexe et être domiciliés depuis dix ans en Nouvelle-Calédonie à la date de l’élection au congrès et aux assemblées de province ;

c) Avoir atteint l’âge de la majorité après le 31 octobre 1998 et justifier de dix ans de domicile en Nouvelle-Calédonie en 1998, soit avoir eu un de leurs parents remplissant les conditions pour être électeur au scrutin du 8 novembre 1998, soit avoir un de leurs parents inscrit au tableau annexe et justifier d’une durée de domicile de dix ans en Nouvelle-Calédonie à la date de l’élection.

Concernant ce corps électoral spécial un conflit existe entre les partis politiques. Les indépendantistes veulent l’application stricte de l’article 188. Les anti-indépendantistes veulent y mettre toutes les personnes inscrites en 1998 même si elles ne figuraient pas sur la liste générale, étant donc aussi absentes du tableau annexe de 1998. Le conflit s’est envenimé au début des années 2000. Le parlement français réuni en congrès à Versailles le 19 février 2007, a confirmé la référence au tableau annexe de 1998 et donc donné raison aux indépendantistes par 724 voix pour et 90 voix contre. Par la suite le tableau annexe de 1998 est devenu introuvable jusqu’en 2013, cette « disparition » entretenant un conflit larvé permanent.

Le corps électoral pour la consultation sur l’accession à la pleine souveraineté est défini par l’article 218 de la loi organique modifiée du 19 mars 1999 qui prévoit que sont admis à participer à la consultation les électeurs qui remplissent l’une des conditions suivantes :

a) avoir été admis à participer à la consultation du 8 novembre 1998 ;

b) n’étant pas inscrits sur la liste électorale pour la consultation du 8 novembre 1998, remplir néanmoins la condition de domicile requise pour être électeur à cette consultation ;

c) n’ayant pas pu être inscrits sur la liste électorale de la consultation du 8 novembre 1998 en raison du non-respect de la condition de domicile, justifier que leur absence était due à des raisons familiales, professionnelles ou médicales ;

d) avoir eu le statut civil coutumier ou être nés en Nouvelle-Calédonie et y avoir eu le centre de leurs intérêts matériels et moraux ;

e) avoir l’un de leurs parents né en Nouvelle-Calédonie et y avoir le centre de leurs intérêts matériels et moraux ;

f) pouvoir justifier d’une durée de vingt ans de domicile continu en Nouvelle-Calédonie à la date de la consultation et au plus tard au 31 décembre 2014 ;

g) être nés avant le 1er janvier 1989 et avoir eu son domicile en Nouvelle-Calédonie de 1988 à 1998 ;

h) être nés à compter du 1er janvier 1989 et avoir atteint l’âge de la majorité à la date de la consultation et avoir eu un de leurs parents qui satisfaisait aux conditions pour participer à la consultation du 8 novembre 1998.

Concernant ce corps électoral dit « de sortie » de l’accord de Nouméa, tous les partis politiques sont d’accord sur les critères de l’article 218 mais les indépendantistes demandent son application avec plus de rigueur et d’ardeur. Cette interprétation est bien décrite par la commission d’experts de l’ONU venus chez nous cette année (lire ci-dessous). Malgré les dispositions de l’article 53 de la constitution du 4 octobre 1958 qui précise que « Nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire n’est valable sans le consentement des populations intéressées », des milliers de Kanak (certains parlent de 20 000) ne sont toujours pas inscrits. L’administration considère que ce travail de croisement de la liste électorale générale et de la liste des Kanak relevant du statut coutumier « serait trop complexe ». Cette compétence relève pourtant de l’État et ce refus est pour le moins étonnant.

 

La restriction électorale est-elle légitime ?

Les Accords internationaux qui protègent les droits de l’Homme accordent aux États la possibilité de restreindre un corps électoral pour des raisons légitimes, pourvu que cela permette « la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif » qui est le principe fondateur de la démocratie. Le corps électoral restreint constitue une différenciation compatible avec les droits de l’Homme parce qu’elle repose sur des critères objectifs (années de présence pour évaluer l’intensité des liens avec le pays) et raisonnables (10 et 20 ans n’ont pas un caractère disproportionné au regard du but visé) pour une fin légitime. C’est pourquoi ce corps électoral gelé a été approuvé par les plus hautes instances internationales.

En juillet 2002, le comité des droits de l’homme des Nations Unies a déclaré : « les critères établis pour l’inscription sur la liste d’électeurs destinés à s’exprimer lors du référendum d’autodétermination restent raisonnables dans la mesure où ils s’appliquent à des scrutins s’inscrivant justement dans un processus d’autodétermination ».

En 2005, la Cour européenne des droits de l’Homme a estimé que face à un processus d’autodétermination, ces restrictions étaient également acceptables.

 

Et aujourd’hui ?

Les tensions s’accentuent et c’est lors de ce mandat (2014-2018) que se tiendra le référendum d’autodétermination. C’est dans ce contexte qu’une quinzaine d’experts de l’ONU sont venus en mission en 2016. Ils ont suivi, du mois de mars au mois d’avril, le travail des commissions administratives spéciales en charge de la révision des listes électorales générales et provinciales ainsi que les décisions prises par les juridictions compétentes sur le contentieux électoral.

Six recommandations sont ressorties de leur rapport :

Première recommandation : « l’organisation, par l’État, d’une campagne d’inscription de proximité sur les listes électorales avec l’appui des communes et le soutien des acteurs politiques, coutumiers ».

Deuxième recommandation : « la promotion de la fonction strictement administrative des mairies et le traitement équitable des administrés ».

Troisième recommandation : « garantir le libre accès aux procès-verbaux en amont par les membres des commissions administratives spéciales afin de prévenir des obstacles éventuels lors des révisions des listes ».

Quatrième recommandation : la création d’un identifiant unique pour regrouper toutes les données personnelles des électeurs et ainsi de simplifier les recherches.

Cinquième recommandation : « le respect strict des délais réglementaires notamment pour la phase du recours gracieux ».

Sixième recommandation : « l’inscription des jeunes majeurs avec des dossiers incomplets, les commissions administratives spéciales pouvant effectuer des enquêtes approfondies ».

Toutes ces recommandations montrent bien les insuffisances de l’État français : « décoloniser » le plus lentement possible en assurant par tous les moyens une prédominance « démocratique » aux anti-indépendantistes.

 

Bibliographie :

www.lnc.nc

–  la1ere.francetvinfo.fr

– Communiqué de la LDH-NC du 3 juin 2005 sur le corps électoral du referendum d’autodétermination.

– Communiqué de la LDH-NC n°45 du 23 février 2005 sur les principes fondateurs des droits de l’Homme.

– Communiqué de la LDH-NC concernant le tableau annexe du 8 novembre 1998.

– Les blogs des non-indépendantistes.

– Les blogs des indépendantistes.

– La loi organique modifiée du 19 mars 1999.

– Loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie

– Les accords de Matignon et de Nouméa de 1988-1998.

www.juridoc.gouv.nc

– La constitution du 4 octobre 1958.

www.legifrance.gouv.fr

– Le rapport de la visite des Nations-Unies en Nouvelle-Calédonie en 2014.

www.un.org.fr (site internet des Nations-Unies).

– Les différents relevés de conclusions du comité des signataires.

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