P. Tartakowsky évoque la mémoire de Victor et Ilona Basch

« Le Patriote résistant » est la publication mensuelle de la Fédération nationale des Déportés et Internés, Résistants et Patriotes ». Dans son édition de janvier 2014, il publie une interview de Pierre Tartakowsky, président de la Ligue des droits de l’Homme, à propos de l’hommage qui sera rendu à Rennes (et dans d’autres villes françaises) à Victor et Ilona Basch, vendredi 10 janvier, au lyvée V. et H. Basch de Rennes. L’occasion pour le président de la LDH de rappeler brièvement la vie de Victor Basch et de son épouse, et en quoi elles méritent non seulement l’hommage qui va leur être rendu, mais aussi la proposition faite par la LDH que leurs corps soient transférés au Panthéon. Voir ici le programme de cette journée. Un programme particulièrement riche et passionnant.

Président de la Ligue des droits de l’Homme depuis 1926, résistant en zone sud, Victor Basch est  exécuté avec sa femme le 10 janvier 1944 près de Lyon par des miliciens et des gestapistes. La Ligue des droits de l’Homme lui rendra hommage le 10 janvier à Rennes notamment, ou commença son action politique. Nous avons évoqué cette grande figure et l’universalité de ses combats avec le président de la Ligue des droits de l’Homme, Pierre Tartakowsky.

Comment l’hommage rendu à Victor Basch, 70 ans après son assassinat, s’inscrit-il dans l’histoire et l’actualité de la Ligue des droits de l’Homme ?

La Ligue a un rapport singulier à l’histoire et à la commémoration. C’est une vieille dame qui est attentive à cultiver son histoire. Comme tout un chacun elle a trébuché parfois et n`a pas toujours été exemplaire au cours de ses 120 années d’existence. Cela s’est vérifié avec les fusillés de la Première Guerre mondiale, également par rapport à la question coloniale, objet de débats importants qui ont finalement tranché en faveur de l’anticolonialisme. D’autre part, dans l’histoire de la Ligue on trouve évidemment la Résistance, parce qu`elle est un combat national et social et surtout la continuation de l’engagement du la Ligue dans le Front Populaire contre l`idéologie du nazisme et d`un régime français autoritaire et xénophobe, à la botte des nazis. On trouve aussi le programme du Conseil national de la Résistance qui est issu d’un compromis national et social au sens de démocratisation forte du champ économique et de l’intervention de l’État. Victor Basch dans cette histoire est multi-exemplaire. Il est l’image de ce que la droite autoritaire, xénophobe antirépublicaine française vomit. C’est un juif venu de l’est – il est Hongrois -, donc un pouilleux dans la représentation qu’on se fait des juifs de l’est à l’époque, qui « viennent nous envahir ». De surcroit ce juif se mêle de ce qui ne le regarde pas puisqu’il fait de la politique, et il en fait à gauche. Il est le co-fondateur avec Lucien Herr et Ludovic Trarieux, de la Ligue pour la défense des droits de l’Homme et du citoyen en 1898, dont il va prendre la présidence en 1926. La Ligue et son président joueront un rôle très important dans la naissance du Front populaire. Et c’est au siège de la Ligue qu’est signé le programme d’action du Front Populaire.

Rien d’étonnant, dans le contexte des années trente et quarante, à ce que ce personnage dérange et devienne une cible pour l’extrême droite…

Oui, Basch est un juif qui agace : études brillantes, philologue, philosophe, professeur d’université, il est a ussi germanophone, donc potentiellement un espion. Voilà, il incarne à lui tout seul toutes les caractéristiques honnies du juif malin, étranger, infiltré, républicain, et franc-maçon qui plus est. La seule chose qu’on ne puisse pas lui reprocher est d’être communiste ! En 1940 il est victime d’une violente campagne antisémite jusque sous ses fenêtres, son appartement parisien est pillé. Il se réfugie près de Lyon avec sa femme Ilona (Hélène) qui partage tous ses combat. Début 1944, la milice de Lyon les arrête – sa femme a refusé de le laisser. Au motif du grand âge de Basch – il a 81 ans, et son épouse 79 je crois -, qui rendrait leur détention difficile, les miliciens décident de les exécuter. Ils sont abattus de plusieurs coups de feu le 10 janvier à Neyron dans l’Ain. On est dans l’ignoble à l’état pur.

Si des rues ou des établissements scolaires portent son nom, on ne peut pas dire que le souvenir de Victor Basch soit ancré dans la mémoire collective?

C‘est pourquoi les commémorations prévues le 10 janvier prochain  ne seront pas du luxe.  Mise à part la génération de la Résistance, les adhérents de la Ligue voire les francs-maçons, je ne suis pas certain que Victor Basch soit très présent dans les mémoires. Il faudra rappeler que sa carriere à la fois universitaire et militante a été tournée vers la compréhension de l’autre et de l’humanité. Basch met sa science universitaire au service d`engagements civiques, moraux et politiques, à travers ses responsabilités et dans la vie quotidienne. Pour nous il est important de montrer qu’à toutes époques de tels engagements ne sont pas consensuels mais qu`ils affrontent des forces réelles, concrètes, capables dc faire preuve d`une formidable agressivité, et d’aller jusqu’au meurtre.

Les commémorations ont d`abord une fonction mémorielle, elles entretiennent le souvenir. Mais dans le contexte qui est le nôtre aujourd’hui, elles servent aussi à parler de l`actualité. En tout cas in rappeler que les problèmes que nous affrontons, tels les atteintes aux droits de l’homme, le racisme, la xénophobie, se sont déjà présentés à nous. Il ne s`agit pas de tracer un parallèle: avec les années quarante, notre pays n’est pas occupé et nous ne sommes pas dans une situation fasciste ou préfasciste. Mais nous pouvons dire qu’il y a une relative similitude avec les années trente, du fait de la crise sociale et économique. Nous constatons que la situation du débat public en France se dégrade de manière considérable sans que des réponses soient toujours apportées. Le gouvernement n’est pas porteur d`un ensemble de valeurs suffisamment cohérentes pour faire barrage aux tentations de racisme, d`antisémitisme et de xénophobie. Je pense à son temps de réaction après les insultes racistes proférées contre M » » Taubira. Ou au fait que la fréquente libération de la parole d’élus républicains, notamment sur les Roms, ne soit pas sanctionnée par la justice. Il y a une sorte de laisser faire qui s’est installé au fil des ans, Il me semble aussi que l’antijudaïsme s’accroit corrélativement à une remontée du fondamentalisme chrétien lequel a pris des forces dans notre société, A preuve il a réussi à mettre beaucoup de personnes dans la rue contre le mariage pour tous. Les forces porteuses d`antijudaïsme ont rencontré d’autres courants plus contemporains, tels le racisme anti-noirs et anti-maghrébins toujours florissants. Là où il y a un racisme, il y en a toujours d`autres.

La journée d’hommage Victor Basch de Rennes le 10 janvier est placée sous le signe  de l’engagement militant hier el aujourd’hui… Pouvez-vous précariser ?

C’est à Rennes où il enseignait que débuta l’action politique de Victor Basch, qui fut l’un des premiers défenseurs de Dreyfus lors de son procès dans cette ville en 1899. Nous y rappellerons son parcours militant acharné pour la défense du droit et de la justice, sa vie engagée et courageuse jusqu’au bout — un courage également physique puisqu’il s’est fait prendre dans une rixe contre des Camelots du roi à près de 70 ans ! Notre démarche consiste toujours à analyser les situations historiques pour ce qu’elles sont sans les projeter de manière indue sur le présent et à rappeler qu’il y a des valeurs qui traversent l’histoire. Nous réfléchirons à Rennes sur la force de l’engagement citoyen, sur la nécessité d’avoir des convictions et du courage pour les défendre. Qu’est ce qui fait qu`on est un citoyen ? Quels risques prend on à se réclamer de ce statut de citoyen?

La Ligue a proposé que Victor Basch entre au Panthéon. Il est vrai que les arguments en sa faveur ne manquent pas.

Nous avons proposé Victor Basch pour toutes les raisons que j’ai dites mais la Ligue appuie également l’entrée simultanée de plusieurs femmes au Panthéon, qui marquerait une volonté de notre pays de rompre avec le sexisme laïque et républicain qui a trop longtemps marqué son histoire. Dans la maison des «  grands hommes », on compte vraiment peu de femmes. Pour en revenir à Victor Basch, sa candidature est tout à fait légitime parce qu’il est l`une des personnalités qui font rayonner la réalité de la nation française. Dans l’esprit des républicains de l’époque, la nation française n’est pas un territoire ni un héritage, c’est un concept politique. La nation, c’est la liberté, l’égalité. la fraternité, et il n’y a pas de distinction très claire entre la nation, la République et les valeurs sous-jacentes qui sont des valeurs très humanistes, très généreuses et ouvertes. Basch incarne cet étranger qui se réalise en France et devient une figure cosmopolite. pas dans le sens nazi ni stalinien, mais dans le sens de personnage du monde. Voilà pourquoi nous pensons que le rôle de Victor Basch mérite lui aussi d’être honoré par la République et que celui-ci pourrait, avec sa femme llona, assassinée comme lui par des miliciens et des nazis, être inhumé dans le haut lieu de la République que constitue le Panthéon.

Propos recueillis par Irène Michine.

L’assassinat de Victor et Ilona Basch

Le couple Basch a fui en zone sud en 1940 et s’installe dans la banlieue lyonnaise, à Caluire-sur-Cuire. Victor Basch va participer à la rédaction du journal clandestin « Le Patriote » et fera partie du comité directeur du Front national. Il est recherché par la police de Vichy et en janvier 1944 la milice de Lyon, dirigée par Paul Touvier, le repère et l’arrête. À l’assassinat des époux Basch à Neyron (Ain), participent Lécussan, chef régional de la milice, et Moritz, de la Gestapo. Sur le corps de Victor Basch, sera retrouvé un écriteau sur lequel est inscrit : « terreur contre terreur. Le juif paye toujours. Ce juif paye de sa vie l’assassinat d’un National. À bas De Gaulle – Giraud. Vive la France. Comité national anti-terroriste, région lyonnaise ».

 

 

Vendredi 10 janvier 2014, journée d’hommage à Ilona et Victor Basch à Rennes (35)

(Communiqué du groupe de travail « Mémoire, histoire, archives » de la Ligue des droits de l’Homme)

Ancien président de la Ligue des droits de l’Homme, Victor Basch est assassiné avec son épouse Ilona, le 10 janvier 1944 près de Lyon par la milice française et la Gestapo. Des commémorations sont d’ores et déjà programmées à Rennes (35), à Villeurbanne (69) et à Montrouge (92) en l’honneur de cet homme d’action, fervent dreyfusard, militant acharné de la défense du droit et de la justice.

La Ligue des droits de l’Homme et du citoyen, tout en appuyant récemment l’entrée simultanée de plusieurs femmes au Panthéon, estimait également « que le rôle de Victor Basch mérite lui aussi d’être honoré par la République et que celui-ci pourrait, avec sa femme Ilona, être inhumé dans le haut lieu de la République que constitue le Panthéon ».

C’est à Rennes, à l’occasion de l’affaire Dreyfus, que débute l’engagement politique de Victor Basch. Ce combat l’amène à faire partie dès juin 1898 des premiers adhérents de la Ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen dont il assurera la présidence de 1926 jusqu’à sa mort, et à jouer un rôle essentiel dans la fondation de la section de Rennes, une des premières à voir le jour. En sa mémoire, la section de la Ligue des droits de l’Homme de Rennes organisera le vendredi 10 janvier 2014 une journée d’hommage sur le thème « Militer hier et aujourd’hui » avec la participation d’historiens et de responsables associatifs et politiques.

L’engagement militant de Victor Basch l’amène à être également un acteur important du Front populaire. C’est ainsi qu’il préside à Montrouge, le 14 juillet 1935, au vélodrome Buffalo, les

« Assises de la paix et de la liberté », évènement fondateur du Front populaire et de ses avancées sociales. La section de la Ligue des droits de l’Homme de Montrouge dévoilera une plaque rappelant cet événement, le mercredi 16 avril 2014, rue Victor Basch à Montrouge.

Réfugié pendant la guerre, avec son épouse Ilona, à Caluire-et-Cuire (69), Victor Basch devient membre du comité directeur du mouvement de résistance Front national pour la zone sud. Arrêtés tous les deux le 10 janvier 1944 par la milice française et la Gestapo, ils sont assassinés à Neyron (01) et sont inhumés à la Nécropole nationale de la Doua, à Villeurbanne (69). La Fédération de la Ligue des droits de l’Homme du Rhône invitera à se recueillir sur leur tombe le vendredi 10 janvier 2014 et proposera une projection-débat autour du film documentaire « Victor Basch, dreyfusard de combat ».

 

Le 10 janvier 2014, cela fera 70 ans que Victor Basch fut tué, avec son épouse Ilona, pour ses engagements et du fait de ses origines. Les assassins déposèrent sur leurs corps l’inscription

« Terreur contre terreur : le juif paye toujours ». Alors qu’en France les propos racistes se multiplient, les diverses commémorations qui se dérouleront autour de l’action militante et de l’assassinat de Victor Basch appuieront la volonté de la Ligue des droits de l’Homme de dénoncer sans relâche et sans complaisance les incitations actuelles à la haine et de refuser que la brutalité verbale toujours annonciatrice de passages à l’acte dramatiques envahisse l’espace démocratique.

Vendredi 10 janvier 2014 à Rennes (35),  journée d’hommage à Victor et Ilona Basch

Le vendredi 10 janvier 2014, cela fera exactement 70 ans que Victor Basch et son épouse Ilona furent assassinés par un commando de la Milice de Vichy, flanqué de Gestapistes. À cette occasion, la section de Rennes de la Ligue des droits de l’Homme organise une journée d’hommage qui aura lieu au lycée Victor et Hélène Basch à Rennes. Placée sous le signe de l’engagement citoyen et du militantisme hier et aujourd’hui, cette journée de conférences et de débats se déroulera en deux temps.

La matinée sera consacrée au parcours militant de Victor Basch, depuis son engagement à Rennes pour la défense du capitaine Dreyfus, (André Hélard : « à Rennes au temps de l’affaire Dreyfus »), jusqu’à ses années à la tête de la Ligue des droits de l’Homme (Emmanuel Naquet : « Ligueur, rien que ligueur, depuis toujours et pour toujours : Victor Basch, président de la Ligue des Droits de l’Homme, 1926‐1944 »), et à sa fin tragique (Pascal Ory : « L’assassinat »), sans oublier le rôle d’Ilona, à ses côtés tout au long de ces années d’engagement (Colette Cosnier : « Ilona Fürth, Madame Victor Basch »).

L’après‐midi, après le dévoilement d’une plaque commémorative dans l’enceinte du lycée, le film de Vincent Löwy « Victor Basch, dreyfusard de combat » sera projeté en présence de son réalisateur. Puis le sénateur Edmond Hervé évoquera ce que représenta la figure de Victor Basch pour le maire de Rennes qu’il fut de 1977 à 2008 (« Victor Basch ‐ un engagement citoyen »).

Après le parcours du militant Victor Basch, c’est de l’engagement et du militantisme au temps présent dont il sera ensuite question au cours d’une la table ronde animée par Gilles Manceron : « Victor Basch, modèle pour un engagement d’aujourd’hui ? » avec la participation d’Edmond Hervé, Pierre Tartakowsky, Pascal Ory, Emmanuel Naquet et Vincent Lowy.

Pierre Tartakowsky, président de la Ligue des droits de l’Homme, conclura cette journée « Militer hier et aujourd’hui » pour rappeler la nécessité de continuer à assurer la défense des droits pour tous et partout. En effet, de Victor Basch, « en proie à une justicite aiguë », qui ne peut « supporter que, quelque part dans le monde, il y eût des hommes, à quelque nation, à quelque race, à quelque religion qu’ils appartinssent, qui étaient victimes d’actes illégaux et arbitraires », qui prit courageusement la défense du capitaine Dreyfus dès le début de 1898, et dut essuyer une violente campagne antisémite jusque sous ses fenêtres, à Léon Blum, victime d’une attaque violente des « Camelots du roi », qui suscitera une manifestation de protestation au premier rang de laquelle figurera Victor Basch, aux attaques racistes dont sont victimes aujourd’hui Madame Christiane Taubira, Garde des Sceaux, ou Madame Cecile Kyenge, ministre de l’Intégration du gouvernement italien, les leçons du passé doivent nous inciter à ne pas relâcher notre vigilance citoyenne.