Relaxe confirmée pour un journaliste et un historien poursuivis en diffamation par un ancien ambassadeur du Rwanda

Jean-PierreChrétien

Poursuivis depuis 2010 pour diffamation par l’ancien ambassadeur du Rwanda à Paris, un historien, Jean-Pierre Chrétien, et un écrivain journaliste, Jean-François Dupaquier, viennent de voir leur relaxe prononcée en 2012 par le tribunal correctionnel de Rouen confirmée par la cour d’appel. L’ambassadeur  qui les poursuivait, Jean-Marie Vianney Ndagijimana, leur reprochait un courrier privé dans lequel ils lui reprochait sa thèse du « double génocide » : un génocide à l’encontre des Tsutsis, un autre à l’encontre des  Hutus. Le groupe de travail « Mémoire, histoire, archives » de la Ligue des droits de l’Homme avait soutenu Jean-Pierre Chrétien et Jean-François Dupaquier. Ses responsables, Gilles Manceron et Emmanuel Naquet se réjouissent de la confirmation de cette relaxe : « Cette victoire est celle de la vérité, de la justice, de la liberté », ont-ils déclaré.

Voici l’article que le site Afrikarabia.com, qui traite de l’actualité en République démocratique du Congo, consacre à ce procès en appel. On peut le trouver ici.

21 mai 2013

FRANCE-RWANDA : Ndagijimana perd une nouvelle fois son procès pour diffamation

Jean-François Dupaquier

L’historien Jean-Pierre Chrétien et l’écrivain-journaliste Jean-François Dupaquier, étaient poursuivis depuis 2010 pour diffamation et injures par l’ancien ambassadeur du Rwanda en France Jean-Marie Vianney Ndagijimana. Tous deux avaient critiqué, dans un courrier privé, ses propos et écrits sur le génocide des Tutsi en 1994, en particulier sa thèse d’un « double génocide ».  Leur relaxe devant le tribunal correctionnel de Rouen (France) le 14 février 2012 vient d’être confirmée par la Cour d’Appel le 2 mai 2013 (1).

Jean-Pierre Chrétien et Jean-François Dupaquier avaient été mis en examen à la suite d’une plainte avec constitution de partie civile pour diffamation et injure déposée par  Jean-Marie Vianney Ndagijimana, ancien ambassadeur du Rwanda à Paris (ayant acquis par la suite la nationalité française). Rappelons que l’ambassadeur avait été démis de ses fonctions le 27 avril 1994 pour des motifs qui n’ont jamais été éclaircis. Il avait quelques jours plus tard dénoncé le génocide en cours.

En cause dans sa plainte : une lettre adressée par l’historien et le journaliste au pasteur adventiste Jean-Guy Presles, président d’un Collectif organisateur de conférences qui s’étaient tenues en septembre 2009 à Rouen sur « le dialogue et la réconciliation entre Rwandais » où le mot « génocide » était significativement absent de l’intitulé des quatre conférences.

Dans ce courrier, ils estimaient que les organisateurs avait été trompés et que les quatre orateurs, dont l’ancien ambassadeur Jean-Marie Vianney Ndagijimana, défendaient tous la même thèse, celle du « double génocide » dont auraient été victimes simultanément les Hutus et les Tutsis. Ils soutenaient que les orateurs avaient rejoint ainsi « les réseaux européens des négationnistes du génocide des Tutsis« .

Débouté devant le tribunal correctionnel, Jean-Marie Vianney Ndagijimana ayant fait appel, la Cour d’Appel de Rouen vient de confirmer le premier jugement « en toutes ses dispositions ».

Lors de l’audience en appel le 9  janvier 2013, Jean-Pierre Chrétien et Jean-François Dupaquier avec leurs avocats, Me Antoine Comte et Me Gilles Paruelle, avaient  une nouvelle fois souligné la légitimité du courrier qu’ils avaient adressé à l’époque aux organisateurs de la série de conférences, dont ils estimaient que leur bonne foi avait été abusée.

Lors de l’audience, l’ancien diplomate avait rejeté avec force l’accusation de négationnisme. « Je refuse cette équation diffamatoire », avait-il dit en affirmant « qu’il appartenait aux deux communautés, étant tutsi par sa mère et hutu par son père. »

Dans l’intervention que la Cour lui demanda à la fin du procès,  l’historien Jean-Pierre Chrétien rappela fortement que le génocide de 1994 n’a pas été une guerre interethnique avec des victimes réparties également entre deux camps « naturellement » antagonistes, mais la perpétration d’un projet d’extermination raciste qui a littéralement déchiré la société rwandaise, jusqu’au niveau le plus intime, à tel point que des familles peuvent compter en leur sein à la fois des victimes et des bourreaux.

De son côté Jean-François Dupaquier a demandé au Tribunal de rappeler le droit à la liberté d’expression. Aucune « loi mémorielle » ne sanctionnant la négation du génocide des Tutsi du Rwanda en 1994, qualifier de « négationnistes » des propos provocateurs s’inscrivant dans la phraséologie par laquelle  des responsables du génocide cherchent à minimiser leur responsabilité, n’est ni une injure ni une diffamation, mais bien au contraire un devoir de vérité et une incitation à la réflexion critique.. Il a noté que Jean-Marie Vianney Ndagijimana refuse de dire par quel moyen il s’est procuré un courrier confidentiel et que ce refus pose la question d’une violation de correspondance.

Interrogé, Jean-Pierre Chrétien « observe que la Cour d’appel, avec la même sagesse que le tribunal de première instance, a refusé de s’engager dans la réécriture de l’Histoire qui lui était demandée, mais qu’elle a fait respecter la liberté d’expression et de recherche dans notre pays ». Il rappelle à nouveau que « la réconciliation nationale nécessaire au Rwanda ne sera possible que sur la base d’une reconnaissance claire de la réalité du génocide des Tutsi et de la responsabilité de la politique raciste qui y a conduit. »

Lui-même et Jean-François Dupaquier remercient les soutiens qu’ils ont trouvés dans une épreuve qui leur a été ainsi indûment infligée. Notamment auprès de la Ligue des Droits de l’Homme, du Comité de vigilance sur les usages publics de l’histoire (CVUH), de l’Association des chercheurs de Politique africaine (ACPA) et auprès de centaines de chercheurs, d’intellectuels et de défenseurs de la liberté de pensée et d’expression.

(1) L’arrêt de la Cour d’appel de Rouen est consultable ici