Xavier Bertrand et les fraudeurs : le point de vue de Pierre Tartakowsky

La proposition de Xavier Bertrand de publier dans la presse les noms des fraudeurs aux allocations familiales a fait réagir Pierre Tartakowsky, président de la Ligue des droits de l’Homme. Il l’a fait dans une tribune parue le 6 février sur le site Mediapart.

Xavier Bertrand ou la République fraudée

Mediapart – 6 février 2012

«Il ne s’agit pas d’être dur pour être dur, il s’agit tout simplement d’être juste.» Ce truisme est gouvernemental; l’air vif des Vosges a, semble-t-il, ce genre d’effet stimulant sur les ministres en recherche d’échos médiatiques. Ce jeudi 26 janvier dernier, donc, Xavier Bertrand, encore en charge du Travail et débonnaire comme toujours, livre à la presse sa modeste contribution à l’entreprise élyséenne de récupération de voix portées sur le muscle, l’ordre et la muselière.

Confronté aux périls qui menacent les équilibres macro-économiques du pays, au chômage persistant et croissant, aux périls qui planent sur l’emploi industriel et ainsi qu’à quelques autres broutilles, Xavier Bertrand récidive sans hésitation et pointe du doigt un cancer majeur: les fraudeurs aux allocations sociales. Prenant le taureau par les cornes, il suggère –à titre de mesure dissuasive– que les noms des dits fraudeurs soient publiés dans la presse. Tout en précisant dans la foulée que ladite publication devrait suivre –et non précéder– une décision judiciaire. On respire…

La fraude sociale n’est certes pas un mal à prendre à la légère, puisque la Cour des comptes l’estime entre deux et trois milliards d’euros par an. Reste que c’est peu au regard des fraudes aux cotisations –largement dues aux employeurs mauvais payeurs et au travail au noir–, estimées entre 8 et 15,8 milliards d’euros. «Moi, je mets la même énergie à traquer les salariés qui fraudent qu’à traquer les patrons qui ont recours au travail dissimulé», avait d’ailleurs assuré en son temps le ministre du Travail dans Direct Matin. On ne sache pas, pourtant, qu’il ait proposé de rendre publique par voie de presse l’identité des employeurs fraudeurs. On croit même garder le souvenir lointain d’une liste d’entreprises «mauvaises élèves» au chapitre de la responsabilité sociale, affichée sur le site Internet du ministère de l’Environnement et qui en avait prestement été enlevée. Xavier Bertrand était alors ministre en charge; sans doute la méthode avait-elle été jugée, pour le coup, «dure pour être dure».

Quelques années plus tard et à l’orée d’une présidentielle difficile, brandir la menace d’une peine de publication redevient donc tendance. On frémit à l’idée de ce que pourrait entrainer sa mise en œuvre, fatalement élargie. Pourquoi la justice se cantonnerait-elle en effet aux seuls «fraudeurs»; les surendettés, petits délinquants, toxicomanes et contrevenants au code de la route auraient très vite, eux aussi, l’honneur douteux de la publication, sans parler, car cela va sans dire, des délinquants sexuels. Dénoncés par l’Etat à la vindicte populaire et sans aucun droit à l’oubli, tous ces «voleurs du peuple» devraient le cas échéant affronter la conception de la justice de leur voisinage… Cela ne sent pas encore le bûcher, mais le goudron et les plumes ne sont pas loin.

Xavier Bertrand est trop ministre pour l’ignorer et sa sortie n’en est que plus ignoble. Du moins a-t-elle le mérite de nous renseigner sur l’ordre social qui lui est cher, dur aux faibles et compréhensif aux puissants.

Elle dessine également sa vision de la justice, une justice dont la vertu tiendrait strictement à sa nature répressive, voire terrorisante. Cette conception s’est largement traduite durant la législature par plusieurs dizaines de modifications du code pénal et la multiplication de gadgets sécuritaires allant de la systématisation de la vidéo surveillance aux «voisins vigilants». Qu’y a-t-il au bout de cette course folle ? La délation généralisée, le pilori aux carrefours des villes ? Et après ?

La République a su abolir la peine de mort parce qu’elle a, enfin, constaté l’absence de lien entre la férocité de la peine et son efficacité; parce qu’elle a préféré la sérénité de la justice à l’exemplarité supposée de la vengeance.

Mais d’évidence, ce 26 janvier, dans les Vosges, Xavier Bertrand était davantage en mission de rabattage électoral qu’en mission de ministre de la République. Fraude lourde.

Estrosi voudrait censurer la Ligue des droits de l’Homme, mais il ne le peut pas

Lire en fin d’article les communiqués de la section de Cannes, celui de Pierre Tartakowsky, président de la LDH, et la lettre de Pierre Tartakowsky à Guéant.

Pauvre Christian Estrosi… Celui que le Canard Enchaîné avait surnommé « le motodidacte » (pour ces exploits moto-cycliques, lorsqu’il était champion du monde) enrage. Il voudrait bien interdire un colloque, organisé par la Ligue des droits de l’Homme, à Nice, à l’occasion du cinquantenaire de la fin de la guerre d’Algérie, mais, regrette-t-il, « je ne peux toutefois pas m’y opposer »… Ben oui, il reste encore quelques libertés, en France. Et la Ligue des droits de l’Homme entend bien les utiliser.

Quel est le problème ? La ville de Nice va célébrer ce cinquantième anniversaire tout au long de l’année 2012. Il se trouve que dans la région, on a parfois des façons particulières de commémorer ces événements tragiques : il arrive, par exemple, qu’on érige des stèles à la gloire des personnages aussi héroïques que les assassins de l’OAS. Dans le site de la section LDH de Toulon, François Nadiras, son responsable, explique les objectifs poursuivis par la Ligue à travers le colloque qu’elle organise :

La Ligue des droits de l’Homme organise à Nice les 10 et 11 février prochains, un colloque sur le thème “Algérie 1962, pourquoi une fin de guerre si tragique ?”

La LDH, qui a toujours agi dans le respect des victimes de ce conflit, refuse de céder à la pression de Christian Estrosi, maire de Nice, qui lui demande de “sursoir à la tenue de ce colloque”, au motif que celui-ci ne s’inscrit pas dans “l’esprit” de la commémoration organisée par sa municipalité.

Le maire de Nice a pour sa part publié le communiqué suivant (source site LDH Toulon) :

Colloque organisé par la Ligue des Droits de l’Homme, le 10 février prochain

Christian Estrosi, Maire de Nice, Président de Nice Côte d’Azur, désapprouve cette démarche :

« J’ai appris avec étonnement qu’une structure associative de Nice a accordé à la Ligue des droits de l’Homme de Toulon et de Nice, une salle pour l’organisation d’un colloque les 10 et 11 février prochains, sur le thème du “ cinquantième anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie”.

Je tiens à dire que je partage entièrement la légitime émotion des rapatriés niçois et des membres d’associations de français d’Algérie. J’ai d’ailleurs fait aussitôt connaître par courrier à la Ligue des droits de l’homme, ma totale désapprobation quant à cette démarche, qui ne s’inscrit en aucune manière dans le cadre ou l’esprit, de la commémoration du Cinquantenaire à Nice.

En effet, j’ai souhaité que cette année du Cinquantenaire du Rapatriement d’Algérie à Nice soit dédiée à nos compatriotes rapatriés de toutes confessions. Le programme mis en place par la Ville de Nice a été élaboré en commun puis validé par les associations de rapatriés et de Harkis et placé sous le Haut Patronage de la Présidence de la République.

Ainsi, je demande à la Ligue des Droits de l’Homme de Nice et de Toulon, de veiller à se montrer respectueuse des rapatriés et Harkis et à sursoir, dans un esprit de sagesse et d’apaisement, à la tenue de ce colloque, auquel je ne peux toutefois pas m’opposer juridiquement. »

Merci par avance de l’écho que vous pourrez réserver à cette information.

Estrosi avait auparavant été interpellé par Jean-Paul Selles, président de  l’Union des Français d’Afrique du Nord (UNFAN), en ces termes (NDLR : caractères gras ajoutés par nos soins et erreurs typographiques et fautes d’orthographes et de ssyntaxe respectées scrupuleusement) :

Monsieur le Maire,

Permettez moi de vous faire part de notre émoi provoqué par l’annonce d’un Colloque organisé par la LDH les 10 et 11 Février 2012 à la Salle Clairvallon à NICE.et qu’apparemment vous avez autorisée.

Aprés nous avoir imposé la statue du général de Gaulle,à NICE,la Mairie accueille dans les locaux de Clairvallon, 26 Avenue Scudéri, la Ligue des Droits de l’Homme(LDH) qui se livrera, comme à l’accoutumé, à leurs élucubrations habituelles visant notre communauté ,orpheline de l’Algérie.

Vous comprendrez que cette exhibition est inadmissible et nous attendons de vous,dans les plus brefs délais, un geste qui ne peut être que la ferme interdiction de la tenue de cette manifestation à caractère provocatrice et collaboratrice avec le FLN et ses porteurs de valise,qui furent les ennemis sanguinaires de la France, à une époque dramatique de l’histoire.

Vous devez également comprendre par ailleurs Monsieur le Maire, que notre Communauté est exaspérée, car subissant depuis 50 ans toutes sortes de mépris car n’ayant jamais eu d’échos à ses revendications justifiées.

Toutes ces manifestations organisées à l’occasion du Cinquantenaire de notre Exode qui a suivi la fin de la Guerre d’Algérie, sont censées réveiller des cicatrices,raviver des plaies,et conduiront inéxorablement la majorité de nos compatriotes,à réfléchir sérieusement quant à leurs choix électoraux prochains.

Nous sommes persuadés que vous voudrez bien vous pencher sur notre demande avec la plus grande attention, et par avance, vous en remercions

Dans l’attente d’une réponse qui se veut urgente vu la date du Colloque,

Nous vous prions de croire Monsieur le Maire, en l’expression de nos sentiments respectueux

Jean Paul SELLES, Union Nationale des Français d’Afrique du Nord ( UNFAN)

A l’heure où la campagne du toujours pas candidat à la présidentielle semble se droitiser, ce courrier, et l’attention que lui porte le maire de Nice sont significatifs.

Voici par ailleurs la réponse de la section de Nice de Ligue des droits de l’Homme :

Nice, le jeudi 9 février 2012

Refusons la peur, refusons la censure de Monsieur Estrosi

La LDH de Nice et ses partenaires organisent les 10 et 11 février un colloque à l’occasion du cinquantenaire de la fin de la Guerre d’Algérie. Au nom d’une prétendue mémoire unique des Français d’Algérie, dans une démarche sans précédent, le maire de Nice s’érige en détenteur de la vérité historique et somme la LDH d’annuler le colloque. Il suggère une faute de la structure associative qui accueille l’initiative, instrumentalise la souffrance, les sentiments et les émotions des rapatriés et des harkis. Enfin, sur un mode particulièrement agressif, il regrette de ne pouvoir l’interdire, suscitant par là même d’autres formes d’opposition.

La LDH de Nice et ses partenaires ne reculeront pas devant une telle intimidation ; ils ne plieront pas devant un maire qui démontre une fois de plus qu’il n’est pas le garant qu’il devrait pourtant être du pluralisme et de la démocratie.

La LDH de Nice, en plein accord avec la direction nationale de la Ligue des droits de l’Homme, maintient l’initiative prévue avec tous ses partenaires dans son intégralité. Face à la menace et à la peur, elle en appelle à l’opinion publique et aux citoyens pour que vive la démocratie.

LDH Section de Nice

Vous pouvez lire le programme de ce colloque ici, et l’article que Le Monde a consacré à cette affaire ici.

Communiqué de la section de Cannes :

La section LDH de Nice, en partenariat avec de nombreuses associations, organise ce week-end des 10 et 11 février un colloque sur le « cinquantième anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie » avec la participation d’historiens et de représentants des rapatriés. D’une manière totalement inattendue, tout autant que scandaleuse, par un communiqué, Monsieur Estrosi souhaite qu’elle soit annulée ! Inattendue, parce que l’on se demande à quel titre cet élu de citoyens divers se permet pareille exigence, et scandaleuse parce que conscient lui-même de son empêchement d’utiliser la voie judiciaire, il sollicite sournoisement la manière forte d’individus incontrôlés, pour parvenir à ses fins en s’affranchissant ainsi des lois de la République.

Ainsi, le gaulliste social qu’il prétend être, ne craint pas de prendre l’exact contre-pied de la politique conduite alors par le Général de Gaulle et confirmée par plusieurs référendums des peuples français et algériens, montrant ainsi son vrai visage partisan de la droite extrême, confondue avec l’extrême droite, en n’hésitant pas à souhaiter la censure même au prix de la violence.

Bien évidemment nos amis niçois maintiendront la tenue de ce colloque dont le haut niveau de réflexion est garanti par la qualité des participants dont ils ont su s’entourer. Ils le lui ont fait savoir par un communiqué. La section LDH Cannes-Grasse sera largement présente à leur côté pour les soutenir ; elle appelle ses amis du bassin cannois à la rejoindre au CLAJ, 26, rue Scudéri à Nice (quartier Cimiez) où se déroulera cette manifestation.

Communiqué de Pierre Tartakowsky pour la LDH :

Monsieur le Maire,

Vous avez cru devoir dans un communiqué de ce jour exprimer en des termes dont la violence est parfaitement claire, votre opposition au colloque que la section de Nice de la LDH organise les 10 et 11 février à l’occasion du cinquantième anniversaire de la fin de la Guerre d’Algérie.

Non seulement vous semblez donner à l’histoire le sens d’une vérité unique, mais en plus, en son nom, vous demandez l’annulation du colloque pour respecter une prétendue mémoire des rapatriés et des harkis dont vous vous sentez l’unique dépositaire.

La LDH, en parfait accord avec la conception qu’elle a de la démocratie, est attachée à l’expression de l’histoire dans sa complexité et ses contradictions. Elle ne fait donc pas de la Guerre d’Algérie l’occasion d’une manoeuvre électoraliste et clientéliste. Elle est partie prenante du colloque organisé à Nice, comme elle participera en mars prochain à celui d’Evian, qui analysera dans une perspective historique les accords qui ont mis fin à la Guerre d’Algérie.

La LDH considère, Monsieur le Maire, que vous portez l’entière responsabilité des événements qui pourraient avoir été suscités par votre démarche. Vous serez comptable de fait s’il se trouvait que des personnes se sentent autorisées à s’opposer par la force à la tenue d’un colloque que vous-même savez ne pas pouvoir interdire par la loi.

Nous avons saisi Monsieur le Ministre de l’Intérieur afin de prendre les mesures qui s’imposent pour faire respecter la liberté d’expression.

Veuillez croire, Monsieur le Maire, en notre respect des principes démocratiques.

Lettre de Pierre Tartakowky au ministre de l’Intérieur :

Monsieur le Ministre,

Dans un communiqué de ce jour, le maire de Nice a cru devoir exprimer en des termes dont la violence est parfaitement claire, son opposition au colloque que la section de Nice de la Ligue des droits de l’Homme organise les 10 et 11 février à l’occasion du cinquantième anniversaire de la fin de la Guerre d’Algérie.

M. Estrosi demande l’annulation du colloque pour respecter une prétendue mémoire des rapatriés et des harkis dont il se sent l’unique dépositaire.

La LDH, en parfait accord avec la conception qu’elle a de la démocratie, est attachée à l’expression de l’histoire dans sa complexité et ses contradictions. Elle ne fait donc pas de la Guerre d’Algérie l’occasion d’une manoeuvre électoraliste et clientéliste. Elle est partie prenante du colloque organisé à Nice, comme elle participera en mars prochain à celui d’Evian, qui analysera dans une perspective historique les accords qui pont mis fin à la Guerre d’Algérie.

La LDH considère, Monsieur le Ministre, que le maire de Nice porte l’entière responsabilité des événements qui pourraient avoir été suscités par sa démarche. Il sera comptable de fait s’il se trouvait que des personnes se sentent autorisées à s’opposer par la force à la tenue d’un colloque que lui-même sait ne pas pouvoir interdire par la loi.

Comptant que vous prendrez toutes les dispositions pour que la liberté d’expression ne soit pas entravée à Nice, veuillez croire, Monsieur le Ministre, en notre respect des principes démocratiques.