Nous sommes Charlie : pour une République effective (communiqués)

Vous trouverez ci-dessous deux communiqués cossignés par la Ligue des droits de l’Homme, le premier a été publié par des syndicats, associations et partis politiques, et le second par des associations (les listes des signataires figurent au bas de chaque communiqué).

Communiqué commun

Paris, le 9 janvier 2015

 

Nous sommes Charlie : défendons les valeurs de la République !

L’attentat terroriste, qui a décimé avant-hier la rédaction de Charlie Hebdo et coûté la vie à des fonctionnaires de police, est un crime inqualifiable qui porte atteinte aux valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité.

Nous – associations, organisations syndicales, partis politiques – appelons tous les citoyens à une marche républicaine silencieuse le dimanche 11 janvier, à 15 heures, de la place de la République à la place de la Nation.

Face à la barbarie, défendons les valeurs de la République !

Premiers signataires :

CFDT – CFE-CGC – CFTC – CGT – EELV – Ensemble – Fondation Copernic – Front démocrate – FSU – Gauche unitaire – LDH – Licra – MDP – Modem – Mrap – MRC – Nouvelle Donne – PCF – PG – PRG – PS – SNJ – SNJ – CGT – SOS Racisme – UDI – UMP – Unsa

Pour une République effective

Aucun mot, aucune formule ne peuvent traduire notre peine : nous pleurons la mort de ceux et celles qui n’avaient qu’un crayon pour toute arme, et de ceux qui les protégeaient contre ce que nous pensions impossible. Les individus qui ont ainsi entonné un abominable hymne à la mort ont touché juste car c’est tout ce que nous aimons qu’ils ont assassiné : l’impertinence, le rire, l’inventivité, la joie de vivre, la liberté de penser, sans laquelle il n’est pas d’humanité. Et nous avons besoin que cette peine soit partagée entre tous, ici en France comme partout dans le monde. Ce monde qui a ressenti que cet événement n’était pas hexagonal mais notre histoire commune.

Bien sûr, il faudra enquêter, juger et sanctionner. Aucune démocratie ne peut accepter de plier face au fanatisme, à la violence, encore moins quand elle est dirigée contre un de ses piliers, la liberté d’expression. Bien sûr, c’est dans le cadre de l’Etat de droit que doivent agir les forces de l’ordre. C’est aussi sans stigmatisation des personnes se réclamant de l’islam que nous devons exprimer notre rejet de cette barbarie, si nous ne voulons pas entretenir des solidarités malsaines.

L’émotion ne suffit pas. Des voix s’élèvent pour appeler au rassemblement au nom des principes dela République. Maisde quelle République s’agit-il ? Il n’est pas certain que le mot suffise, en effet, à partager les mêmes principes ni les mêmes valeurs.

Le constat est terrible : sur fond de crise sociale permanente, la cohésion de notre pays a éclaté. Racisme et antisémitisme, stigmatisation d’une partie de la population, retour de la vieille antienne du bouc émissaire dont on ne retient que l’origine, relégation dans des ghettos territoriaux et scolaires, replis identitaires, ignorance de notre histoire, qu’elle concerne l’esclavage, la collaboration ou le colonialisme, et ces mots d’exclusion devenus si quotidiens au nom d’une conception dévoyée de la liberté d’expression. Pire, certains détenteurs de la parole publique n’ont pas su, et parfois pas voulu, respecter les symboles de l’égalité républicaine.

Ne le dissimulons pas, nous sommes tous responsables de cette situation. Cet échec nous est commun et nous ne saurions nous dispenser d’un regard critique sur nos propres actions.

Lorsque les principes mêmes dela Républiquesont contredits par la réalité, chacun interpelle celle-ci dans une sorte de sauve-qui-peut généralisé en lui délivrant injonction d’agir pour son propre sort sans référence à l’intérêt commun.

S’il est bien que les partis politiques, acteurs essentiels de la vie démocratique, s’emparent de ce débat, c’est d’abord au citoyen de le mener. Avant même de rassembler les institutions et les organisations, c’est d’abord les hommes et les femmes de ce pays qu’il faut rassembler autour non d’une incantation, mais d’une République effective pour tous.

Parce que nous voulons vivre ensemble, sans racisme et sans discriminations, quelles que soient nos origines, parce que la laïcité sans adjectif, celle qui accueille sans exclure, est la garantie de la paix civile, parce que nous sommes attachés à chacun des termes fondateurs dela République– Liberté, Egalité et Fraternité –, nous avons décidé de le dire dans la rue dimanche 11 janvier, sans slogans ni bannières, simplement pour dire ensemble notre peine mais aussi notre adhésion à une République dans laquelle chacun peut, sans distinctions, se retrouver. Tel est le sens de notre appel.

Alain Jakubowicz, président de la Licra, Pierre Mairat, co-président du Mrap, Dominique Sopo, président de SOS Racisme, Pierre Tartakowsky, président de la LDH

 

 

Le collectif « anti-exhibit B » tente d’empêcher les représentations

Les opposants à la pièce de théâtre « Exhibit B » ont tenté, jeudi soir d’empêcher sa représentation. Leur manifestation s’est accompagnée de violences : portes du théâtre explosées, intrusion dans le bâtiment. Deux représentations seulement ont pu avoir lieu, le directeur du théâtre a ensuite été contraint d’annuler les suivantes. Et vendredi il a pris la décision de renoncer à poursuivre les représentations. C’est évidemment une atteinte grave à la liberté d’expression et de création, du même ordre que celles menées par les intégristes catholiques contre des films ou des pièces de théâtre. C’est une caractéristique des mouvements qui s’opposent à la représentation d’une œuvre artistique : leurs actions sont systématiquement accompagnées de violences…

« Exhibit B » : contre la violence, le TGP doit être protégé

La Ligue des droits de l’Homme, le MRAP et la LICRA ont dénoncé cette action, dans un communiqué commun, et demandent aux pouvoirs publics de prendre des mesures propres à permettre au représentations prévues de se dérouler normalement. Les réactions du public prouvent, s’il en était besoin, que les jugements portés par le collectif Anti-Exhibit (dont les membres n’ont  pas vu la pièce) ne tiennent pas : le public a parfaitement compris la démarche de l’auteur.

Hier soir, au théâtre Gérard Philipe (TGP) de Saint-Denis, seules deux représentations d’« Exhibit B » de Brett Bailey ont pu avoir lieu, alors que six étaient prévues. Cette œuvre est un spectacle majeur, car elle ne fait pas que dénoncer le racisme et la violence faite aux Noirs tout au long de l’Histoire. La mise en scène permet à des comédiens noirs de représenter ces faits tragiques avec humanité et dignité, et au public de regarder sans ambigüité possible un passé et un présent qui nous regardent, nous questionnent profondément et nous bouleversent, quelle que soit la couleur de notre peau.

Hier soir, la manifestation du collectif Anti-Exhibit B et de la Brigadeanti-négrophobie, qui a rassemblé une centaine de personnes, est devenue violente, les portes du théâtre ont volé en éclats et des manifestants déterminés ont envahi le théâtre en hurlant. Malgré cela, et après une intervention tardive de la police, deux représentations ont eu lieu dont une pour des lycéens, qui ont témoigné de leur incompréhension de la polémique après avoir vu, de leurs yeux, ce qu’une centaine cherchait à interdire. Les manifestants ont réussi à empêcher le reste
du public d’accéder au théâtre et les autres représentations n’ont pu avoir lieu. Le personnel du théâtre, pourtant sous le choc de la violence, s’est comporté de façon exemplaire.

Nous demandons au préfet de Seine-Saint-Denis de protéger efficacement le TGP afin que les représentations et le débat prévus ce soir puissent avoir lieu sans incidents. Nous demandons que les spectateurs, insultés hier soir par les manifestants, soient protégés et puissent entrer dans le théâtre.

Nous demandons à madame la ministre dela Culturede donner des consignes claires et précises, dans la suite de son remarquable communiqué, pour que le TGP puisse accomplir son travail dans une sérénité retrouvée.

 

Exhibit B, Projet crocodile : la liberté de création une nouvelle fois menacée

Sale temps pour la liberté de création! Deux affaires viennent simultanément démontrer qu’il ne faut pas lâcher la pression, et la défendre obstinément, sans arrêt.

La première concerne la pièce de l’artiste Sud-Africain, Brett Bayley, intitulée Exhibit B, qui met en scène des acteurs noirs dans des situation qui évoquent l’esclavage, la ségrégation raciale, le colonialisme, les zoos humains… Des scènes dures, évidemment, puisqu’il s’agit de dénoncer des événements qui eux n’étaient pas mis en scène. Une contreverse s’est rapidement déclenchée, qui, et c’est là l’aspect particulièrement pervers de cette affaire, demande, au nom de la lutte contre le racisme, d’interdire ce spectacle. Une pétition a été lancée, dressant un procès d’intention inadmissible à l’auteur. Il semble bien que la simple évocation de ces périodes honteuses où l’homme noir était humilié, exploité, martyrisé, demeure insupportable à certains. Une contreverse qui est intervenue presque simultanément aux propos scandaleux de l’entraîneur de l’équipe de football des Girondins de Bordeaux, prouvant que la lutte contre le racisme doit toujours être à l’ordre du jour.

La deuxième affaire concerne une bande dessinée, qui évoque les violences conjugales. Elle rappelle naturellement celle qu’avait lancée M. Coppé contre le livre « Tous à poil » il y a quelques mois. Les planches de cette bande dessinée, intitulée « le projet crocodile », réalisée par Thomas Matthieu, devait être exposée par la mairie de Toulouse dans le cadre de la journée internationale contre les violences faites aux femmes. L’exposition a finalement été annulée, les élus de Toulouse considérant que la bande dessinée était « vulgaire ». On est bien d’accord : la violence contre les femmes est bien vulgaire… Une jeune femme, victime de viol conjugal, a réagi en adressant une lettre ouverte poignante au conseil municipal de Toulouse. On peut la lire ici, sur le site du Huffington post.

La Ligue des droits de l’Homme, la Licra et le MRAP, et l’Observatoire de la Liberté de création ont tous deux réagi à la cabale contre Exhibit B dans deux communiqués, qui analysent parfaitement l’enjeu de cette affaire.

La pièce de Brett Bailey, Exhibit B, est au centre d’une controverse qui a pris une forme inadmissible.

 

EXHIBIT B : UN SPECTACLE QUI NE DOIT PAS ÊTRE INTERDIT OU ANNULÉ !

Communiqué commun de la Ligue des droits de l’Homme, de la Licra et du MRAP.

D’aucuns, jugeant cette pièce sans l’avoir vue, la considèrent raciste et demandent sa déprogrammation du TGP, à Saint-Denis, et du 104, à Paris. Ils l’accusent de montrer les Noirs dans des positions de victimes, et vont jusqu’à demander son interdiction aux préfets.

Comme si la représentation de la façon dont les préjugés racistes ont pu aboutir aux situations les plus abominables, comme l’esclavage, les discriminations coloniales, les humiliations, les zoos humains, n’avait plus aucun sens aujourd’hui. Comme s’il n’était plus convenable ou utile de montrer comment l’être humain est capable de se comporter quand il se croit supérieur, grâce à la couleur de sa peau.

Dans la France d’aujourd’hui, dont les préjugés racistes n’auront pas disparu, loin s’en faut, nous, organisations antiracistes, affirmons que l’art doit être libre de contribuer à la lutte contre ce fléau, et que nul ne saurait interdire à un artiste de représenter la souffrance qui en résulte, dès lors qu’il n’en fait pas l’apologie. Nous affirmons qu’il n’est pas admissible de faire un procès d’intention à l’artiste au motif qu’il est blanc, la lutte contre le racisme étant universelle et ne pouvant dépendre de la couleur de la peau, des origines ethniques ou des convictions religieuses de ceux qui la portent.

Car l’actualité récente nous rappelle avec force la nécessité impérieuse de promouvoir en permanence le devoir de mémoire. Ainsi, dans un entretien accordé à Sud-Ouest, le 4 novembre dernier, Willy Sagnol a déclaré : « L’avantage du joueur typique africain, c’est qu’il n’est pas cher quand on le prend, il est généralement prêt au combat et on peut le qualifier de puissant sur un terrain. Mais le foot, ce n’est pas que ça. Le foot, c’est aussi de la technique, de l’intelligence, de la discipline. » Ces propos nauséeux et racistes, qui renvoient le joueur africain, le Noir, à l’animalité, à la « puissance », tandis que la technique, l’intelligence et la discipline restent l’apanage des Nordiques, des Blancs, auraient dû susciter une réprobation unanime.

Au lieu de cela, les instances officielles du football ont soutenu l’entraîneur, le président des Girondins a répondu de façon agressive à une demande de sanction en se solidarisant avec Willy Sagnol, et ont été diffusées massivement des images sidérantes de joueurs noirs et méritants venant consoler leur coach !

Si un spectacle de théâtre, dont la diffusion est infiniment plus modeste, ne peut, à lui seul, résoudre la question aussi cruciale du racisme, il est non seulement légitime qu’une œuvre, à sa manière, et avec toute la subjectivité de l’artiste, puisse s’adresser aux spectateurs sans que personne ne s’immisce entre les deux pour juger en lieu et place du public, mais nécessaire quand elle illustre, fût-elle d’une manière crue et dérangeante, les dangers des clichés les plus éculés du racisme.

 

Paris, le 21 novembre 2014

 

Paris, le 25 novembre 2014

 

communiqué de l’Observatoire dela liberté de création

Contre les préjugés, nous avons besoin d’art, de partage et de parole

Les directeurs du TGP et du 104, Jean Bellorini et José-Manuel Gonçalvès ont choisi de programmer dans leurs établissements l’installation performance Exhibit B de Brett Bailey.

Elle repose, par la succession de tableaux vivants représentant alternativement des évocations de l’esclavage, de la colonisation et de la répression violente de l’immigration, sur la dénonciation de ce que le racisme a produit de pire. Chacun de ces tableaux incarnés est porté par des performeurs qui ne quittent pas du regard les spectateurs accueillis par petits groupes. Chaque scène est accompagnée d’un cartel explicatif. La fin du parcours d’installation permet de lire les témoignages des performeurs sur leur propre expérience, mais aussi à chaque spectateur d’écrire son ressenti, quel qu’il soit.

Créé en 2010, ce spectacle a été vu depuis dans plusieurs villes européennes, à Avignon et au 104 en 2013, ou encore tout récemment à Poitiers, sans qu’aucun incident ne trouble sa programmation, ni sa découverte par des spectateurs ayant librement choisi d’y assister.

Evoquer n’est pas approuver. Tout artiste doit pouvoir librement représenter une part de l’histoire humaine passée et présente, et chercher à ébranler les consciences, à interroger les préjugés.

Pourtant, des personnes jugeant raciste et indigne un spectacle qu’ils n’ont pas vu, animent depuis plusieurs semaines une campagne d’intimidation qui va de la demande d’annulation puis d’interdiction, à la menace d’empêcher les représentations par un appel à la manifestation.

Si le procédé n’est pas nouveau, il choque toujours pour au moins trois raisons fondamentales. C’est d’abord le procès d’une intention : celle de l’artiste, celle des performeurs et celle du directeur. C’est aussi la condamnation de l’art, qui n’existe que par la représentation, l’image, le lien, la question, et surtout le dialogue du singulier et de l’universel. C’est enfin l’interdiction pour tous, demandée par quelques-uns.

L’Observatoire de la liberté de création assure de son soutien Brett Bailey, Jean Bellorini, José-Manuel Gonçalvès et leurs équipes. Le TGP et le 104 ont choisi d’accueillir une œuvre dans une programmation qu’ils assument – artistiquement et politiquement – et qu’ils  accompagnent d’une médiation, pour ce projet comme pour tous les autres. Ils ne font là que leur métier.

Il convient de garantir à chacun la liberté de devenir spectateur et de participer à la représentation d’une œuvre. L’intimidation et le désir de censure sont illégitimes, c’est dans le débat critique que chacun doit pouvoir s’exprimer.

L’Observatoire de la liberté de création demande donc à tous ceux qui partagent ses valeurs d’aider à assurer le bon déroulement des représentations.

L’Observatoire de la liberté de création appelle ses adhérents, mais aussi les citoyens et les spectateurs, à se rassembler pacifiquement sur le parvis des théâtres à l’occasion des représentations. L’Observatoire de la liberté de création assurera une mission de médiation et de dialogue, et participera au débat du 28 novembre à 19 h au TGP, qui doit permettre à tous les points de vue de s’exprimer.

Pour combattre les préjugés, nous avons besoin d’art, de partage et de parole.

Il est urgent de protéger les œuvres, les artistes et les professionnels, dans un pays qui doit porter haut la liberté de création, d’expression et de diffusion de l’art comme de la pensée.