Le “mur des cons” s’attaquait aux idées, pas aux personnes

La présidente du Syndicat de la magistrature,
Françoise Martres, s’explique sur le mur de photos qui a déclenché un énorme tollé. Et elle assume.

L’objet du scandale a disparu. « Nous l’avons détruit », corrige Françoise Martres. Discrète depuis le début de la tempête déclenchée par le « mur des cons », la présidente du Syndicat de la magistrature (SM, classé à gauche) a décidé de « mettre les choses au clair ». Une vidéo amateur montrant le panneau d’affichage du local syndical, sur lequel des dizaines de personnalités — essentiellement de droite — étaient épinglées avec des commentaires peu aimables, a déclenché un tollé.

D’abord réservée, la ministre de la Justice, Christiane Taubira, a décidé de saisir le Conseil supérieur de la magistrature pour avis. Dans cet entretien exclusif, la présidente du SM et le secrétaire général, Eric Bocciarelli, dénoncent une initiative « catastrophique » de la garde des Sceaux et appellent l’ensemble de la classe politique « à reprendre raison ».

Connaissez-vous l’origine de cette vidéo ?
FRANÇOISE MARTRES. Nous avons retrouvé la date à laquelle elle a été prise. Ce jour-là, nous recevions de nombreux journalistes sur rendez-vous qui voulaient notre réaction sur l’affaire Bettencourt. Devant l’affluence, nous avons fait patienter certains d’entre eux dans une pièce à laquelle ils n’ont d’habitude pas accès, où se trouvait ce fameux mur. Manifestement, l’un d’eux a profité de l’attente pour filmer le panneau avec son smartphone.

Depuis combien de temps existait ce mur ?
ÉRIC BOCCIARELLI. Il était là depuis des années, mais il a été, pour beaucoup, alimenté sous l’ère Sarkozy. Sous sa présidence, nous avons été stigmatisés, injuriés publiquement, des décisions de justice ont été remises en cause, des magistrats mutés ou convoqués en pleine nuit… Nous étions sous pression, et ce mur était un exutoire satirique confiné dans un espace privé. Cette droite que nous combattons a vu dans ces images volées le prétexte qu’elle attendait pour nous faire taire.

Deux pères de victimes étaient aussi épinglés…
F.M. Ce mur s’attaquait aux idées, pas aux personnes. Ces deux hommes ont défendu des positions que nous combattons : l’un était favorable à la suppression du juge d’instruction, l’autre était membre de l’Institut pour la justice, une association qui milite pour davantage de repression. Jamais nous ne les avons visés en leur qualité de victimes. Cet amalgame nous a beaucoup touchés car il n’était pas dans notre intention de faire du mal à qui que ce soit.

Etes-vous de gauche ?
É.B. Oui, dans le sens que les valeurs que nous défendons sont classées à gauche : l’humanisme, la défense des libertés publiques, l’égalité des droits devant la justice.

F.M. Pour autant, nous ne sommes affiliés à aucun parti politique. Nous avons d’ailleurs critiqué plusieurs fois Christiane Taubira sur ses atermoiements.

La ministre de la Justice a saisi le Conseil supérieur de la magistrature (CSM)…
F.M. C’est une décision catastrophique. En demandant que le CSM donne son avis sur notre liberté d’expression syndicale, elle donne raison à la droite qui souhaite notre dissolution. Tous les syndicats, de tous les secteurs professionnels, devraient être préoccupés par cette saisine. Va-t-on vers un contrôle des locaux syndicaux de tous bords ?

É.B. Christiane Taubira feint d’ignorer qu’il s’agit là d’images volées exprimant des opinions privées. Notre parole publique n’a jamais été prise en défaut.

Ce mur ne pose-t-il pas la question de votre impartialité ?
F.M. On peut être un juge engagé et exercer son métier de façon impartiale. Il existe par ailleurs des instances disciplinaires et des voies de recours contre nos décisions. Faut-il exiger que tous les juges révèlent leurs convictions politiques ? Un ex-député UMP, Jean-Paul Garraud, est aujourd’hui magistrat à la cour d’appel de Poitiers. Nous ne remettons pas en cause son impartialité. Qu’on ne remette pas en cause la nôtre.

source : http://www.syndicat-magistrature.org