Roger Brajeul, 8 ans en 1942, Garanton

Ce témoignage ne se rapporte pas aux soldats noirs qui étaient au camp de novembre 1944 à février 1945, mais de soldats noirs prisonniers, qui étaient gardés par les Allemands dans le même camp, jusqu’à la Libération.

J’ai vu les noirs travailler tout au long de la route. Ils creusaient une tranchée avec des pelles et des pioches pour installer la ligne téléphonique entre Saint-Brieuc et Lorient. Je ne sais pas à quelle profondeur ils creusaient.  Je me suis souvent demandé si la ligne était bien allée jusqu’à Lorient et ce qu’elle était devenue depuis.

Marguerite Le Quintrec, 13 ans en 1944, La Gersaye

En ce temps-là on mangeait, on remangeait à 10h à midi et à 4h, c’était une collation, on disait que c’était la croûte. Ma mère a dit : « venez casser la croûte ! »

Elle mettait une grande cuvette d’eau dehors et les hommes s’étaient lavé les mains puis ils s’étaient installés à la table. Le noir était toujours dehors à se laver les mains. Et il lavait, il lavait .Un des hommes a dit « purée ! il va les rendre toutes blanches à force de les frotter ! »

Un autre a dit qu’il ne rentrera pas dans la maison parce qu’ils étaient à manger du lard .Il devait être musulman sans doute, et je me souviens que ma mère lui a donné du café ou du chocolat.

J’ai entendu dire que certains jetaient leur couteau s’il avait servi à couper du lard …

Marie Créhan, 7 ans en 1944, Le Hinlée

Une employée de chez Madame Martin avait fait la connaissance d’un noir. Quand on allait à l’école, elle nous attendait aux Fontaines du Hinlée. Elle donnait du courrier à Eugène, qui avait la responsabilité de poster la lettre pour Monsieur Baril. C’était Maria, elle devait avoir 20 ans. Je ne sais pas comment elle avait fait sa connaissance. Elle a correspondu longtemps avec lui. Mais je ne sais pas si les lettres arrivaient. Nous, on rigolait avec ça. On était contents de porter les lettres et on avait du plaisir à lire l’adresse.

Nous avons su qu’elle mettait sur l’enveloppe : «  si la lettre n’arrive pas à mon Sénégalais vous allez entendre parler de moi ! »

Jeanine Le Roux, Foeil-Marreuc

Je me rappelle, nous sommes venus de Foeil- Marreuc avec la maîtresse, madame Marie Allain, voir les noirs. Nous étions une quarantaine d’enfants. On était venus à pied, en chantant et en marchant au pas « Sur la route de Louvier » et « Dans la troupe, y’a pas jambes de bois ».

En arrivant, on a vu plein de noirs. Nous ne sommes pas restés longtemps : 10 minutes ou un quart d’heure. On n’a pas dû discuter avec eux parce qu’on ne s’est pas bien approchés !

Pacifique Boscher, 9 ans en 1944, La Touche

Je les voyais arriver à la ferme. C’était la première fois que je voyais des africains. Ils étaient trois.

Je pense, si ma mémoire est bonne, qu’il y en avait un natif de Yaoundé. Les deux autres étaient de la région de Dakar. Ils parlaient beaucoup avec mon père.

Mon père demandait s’ils avaient des enfants, et le Camerounais disait : « oui beaucoup enfants, beaucoup femmes, beaucoup plaisir paradis sur terre ! »

Mon père lui demandait : « combien, tu as de femmes ?

–         trois ou quatre.

–         et avec laquelle tu dors ?

–         avec la plus jeune bien sûr ! »

C’était Robert son prénom. Mon père en parlait encore des années après.

Lucien Henry, 22 ans en 1944, Saint Just

Je suis allé voir le camp. Il y avait des noirs. Je pense qu’il y avait 7 ou 8 baraques.

Il y avait un noir qui avait foutu le camp et qui avait bu deux verres d’alcool dans deux fermes à Saint-Just. Il était « asphyxié ». Les patriotes étaient venus, mais ils ne pouvaient pas le ramener. Ils ont été chercher un chef noir. Il lui a dit « j’étais ton chef, et je suis encore ton chef, alors tu vas venir ! » et il est rentré. C’est tout ce dont je me souviens.

Dédé Marquer, 10 ans en 1944, La Forge, et Gérard Brazidec, 7 ans en 1944, rue Jean-Sohier

Les tirailleurs étaient en kaki, en militaires. Suivant ce qu’ils étaient il y avait des uniformes différents.

Je me rappelle, il y en avait un qui descendait à la maison. Il était frigorifié. Il voulait se chauffer dans la cheminée. Il prenait tout le devant de la cheminée, il était large comme ça ! il avait des narines !…

Il sortait régulièrement du camp et devait rentrer pour le couvre- feu. Souvent, il prenait le café avec nous à 4 heures. Ma mère, qui avait toujours refusé de travailler pour les  Allemands  tant que son mari serait prisonnier, avait accepté de réparer les vêtements des Sénégalais, puisqu’ils étaient prisonniers. C’est pour cela que lui était descendu pour amener les vêtements, et, du coup, il avait pris des habitudes…

Michel Moisan, 11 ans en 1944, Le Montoir-d’en-Bas

C’est surtout les gars qui allaient voir le camp. Les filles étaient plus tenues. Les noirs avaient des balafres sur la figure. Ils étaient en liberté. Ils avaient froid, c’était la fin de l’année.

Je ne sais pas comment ils étaient apparus au Montoir-d’en-Bas. C’est deux copains qui sont arrivés.

Ce dont je suis sûr c’est qu’ils étaient dans la cheminée à se chauffer. Mon père était parti s’occuper des vaches dans l’étable et ma sœur était à les traire. Notre mère était déjà décédée.

Moi, je suis resté les garder dans la maison. Un des deux m’a dit qu’il était instituteur. Je me rappelle qu’il y avait une poule et ils se chauffaient au coin du feu pendant que la poule était à cuire dans la soupe.

On a mangé ensemble et ils nous ont donné quelques conserves de sardines. C’est qu’ils devaient avoir des colis, parce qu’il n’y avait pas grand-chose dans les commerces.

Ils parlaient avec le père de leur situation, mais moi, je ne comprenais pas trop leur affaire.

Il faut dire aussi que nous, on n’avait rien contre eux.

Fifine Le Caër, 14 ans en 1944, le Bourg

Les noirs étaient libres de circuler durant la journée. Ils parlaient assez bien français, avec un fort accent. Ils allaient dans la campagne, un peu partout. Ils étaient bien vus par les habitants. Certains finissaient par avoir leur maison. Comme ils étaient bien accueillis, ils y retournaient. Il y avait des officiers parmi les prisonniers. Ils logeaient au couvent avec leur ordonnance. Je me rappelle d’ une ordonnance qui venait chercher le lait pour Monsieur et Madame Morinville. Il avait sympathisé avec les parents. Un jour, il a demandé à Maman s’il elle avait des œufs à vendre. Maman, lui en a vendus. L’ordonnance a voulu qu’elle fasse l’omelette sur-le-champ et que je mange les œufs avec lui. Il ne voulait pas manger seul. Avait-il peur d’être empoisonné ? Il était très gentil cet homme. Il nous parlait de son pays… Il avait hâte de rentrer chez lui. Il se plaignait du froid.

Les noirs étaient habillés en soldat : un uniforme kaki, un gros manteau et des bandes molletières. Ils faisaient leur lessive au bord du Kerbiguet, le ruisseau à l’emplacement de l’étang aujourd’hui.

Les noirs aimaient bien les gamines. Ils étaient amoureux, disait-on. Ils couraient après les adolescentes… Les parents étaient sur leur garde.

Les prisonniers n’avaient pas le droit de boire d’alcool. Ça faisait partie du règlement. Les gens qui les accueillaient avaient pour consigne de ne pas leur servir d’alcool. L’alcool, nous disait-on, les rendait fous.

Les prisonniers avaient une heure pour rentrer au camp le soir.

Jean Auffret, 19 ans en 1944, Kergohy

Jean Auffret

On le voyait, alors on se demandait pourquoi puisqu’il ne parlait pas du tout. Il faisait son petit tour dans les écuries, il manœuvrait par là sans parler. On était inquiets. Il y avait aussi quelqu’un, un des Sénégalais qui venait à la ferme avec qui le père discutait beaucoup. Je crois bien qu’il était instituteur. C’était un homme qui parlait beaucoup. En famille, on disait qu’il y avait peut être un peu de jalousie entre les noirs. C’était bizarre cette ordonnance là qui ne parlait pas mais qui venait quand même. Il s’en allait comme ça quand il était servi avec son lait et son beurre. A l’époque, l’autre, l’instituteur venait raconter sa vie mais nous on ne participait pas tellement à ça ! Le père était très curieux car il lisait beaucoup, il aimait bien.

Le noir lui faisait découvrir.