Le squat de Pacé a été évacué dans la « dignité ». C’est quoi, au juste, la dignité ?

Photo Philippe Chérel, Ouest-France.

Le squat de Pacé. Le « plus grand squat » de France. Il a été évacué hier. Ce qui a permis aux  » humanistes  » de Novopress de titrer : « Évacués du squat de Pacé, les 250 clandestins seront relogés aux frais des contribuables ».

Les premiers articles de presse ont fait état du calme dans lequel s’est déroulée l’évacuation. Le préfet a indiqué, après l’opération : «Tout s’est passé sans incident, dans le respect des personnes et dans le calme » (Libération). Dans un reportage diffusé par FR3, une femme venant d’être évacuée déclarait : « On s’attendait au pire, ça s’est bien passé ». Le maire de Pacé confirme : « Cette évacuation s’est faite avec humanité et respect des personnes et des biens ».
Heureusement, M., une militante de Droit au logement, qui a soutenu avec beaucoup d’autres les migrants depuis leur arrivée au mois de mai dans l’ancienne maison de retraite de Pacé, vient nous remettre les idées en place. Parce qu’il n’y a pas eu de violences physiques, pas de blessés, pas de coups, on en arriverait à considérer que ça s’est bien passé, que ça a été digne… Nous serions-nous laissés contaminer par l’idéologie ambiante de chasse à l’étranger ?
Merci, M., d’autoriser la publication de votre beau texte.
« Alors, il faut toujours essayer d’être objectif, hein? Donc oui il y a sûrement des choses bien quand même dans ce qui s’est passé ce matin. Vous savez, l’expulsion de 250 personnes qui allait se régler avec dignité…
Alors il y a déjà  le côté froid et silencieux de l’expulsion du matin : les familles sont invitées à aller à la préfecture avec un petit papier attestant qu’elles viennent du squat de Pacé. Elles sont dehors dès 6h15 pour les premières, une cinquantaine de voitures de policiers, mais pas l’idée d’avoir fait venir une navette qui emmènerait tout le monde à la préfecture… C’est sûrement tellement plus digne de laisser les familles, les bébés dans les bras des mamans et les gamins dans les poussettes dans le froid et la nuit noire à 6h30 dehors. À attendre le bus 52 qui arrive déjà quasi plein de gens du coin qui partent au boulot… Et puis tous les gens qui portent des sacs, des matelas tout ça tout ça. Le petit crachin du matin a rajouté un peu à la dignité ambiante, c’était super. Mais attention, ça s’est fait dans le calme, donc hein, vous voyez bien qu’on traite bien les gens !
Arrivée des familles à la préfecture : ils rentrent au compte-goutte, les autres attendent dehors. C’est vrai, c’est tellement digne de voir 12 policiers regarder les femmes enceintes et les bébés, les personnes inquiètes et fatiguées, là, dehors debout devant la porte. Par contre à l’intérieur apparemment c’est le monde des bisounours : chocolat chaud, croissants offerts à tout le monde, les gens attendent sereinement, le personnel se met en 4 pour s’occuper de tout le monde, même le préfet nous dit-on met la main à la pâte. Et puis après on leur dit où ils vont et on les met dans un taxi qui les accompagne jusqu’au lieu. Jusque-là, ça va, c’est chouette, le préfet a fait ce qu’il a dit, vous voyez bien!
Sauf que sauf que, les gens dans les taxis passent par l’arrière de la préfecture, pas de possibilité de voir les soutiens qui étaient là à les accompagner, devant la pref’ car eux n’avaient pas le droit de les suivre dans la pref’. Et puis quand les soutiens commencent à arrêter les taxis pour demander aux gens où ils allaient, pour combien de temps, voire s’ils souhaitaient récupérer leurs affaires qui étaient dans les coffres de voiture sur le parking, les chauffeurs au début s’arrêtaient. Mais l’autre douzaine de policiers, en faction eux devant la grille de sortie des taxis, ont  commencé à grogner par contre. Et puis finalement ils ont interdit qu’on arrête les taxis. C’est vrai, c’est tellement plus digne de partir dans un taxi qui ne s’arrête pas, sûrement pour qu’ils puissent s’imaginer stars de cinéma en voyage incognito? Oui sûrement, car ça ne peut pas être pour couper complètement les migrants de leurs soutiens divers, non, ça se serait vraiment être mauvaise langue.
Et puis après on commence à voir que certains n’ont pas de notion de durée de leur séjour à Petaouchnok, euh pardon, dans le gîte rural machin de la baie du Mont-Saint-Michel, mais bon c’est tellement digne d’être emmenés vers la campagne du bord de mer. Donc on ne sait pas si c’est pour 1, 2 3 nuits ou plus. Pour d’autres c’est plus clair : 5 jours à Vern-sur-Seiche, 3 jours au foyer bidule. Et pour d’autres vraiment plus clair: rendez-vous à l’Hôtel-Dieu à 18h. Et jusqu’à 18h? Ben euh, j’sais pas moi, c’est pas digne de rester dans la rue avec tous vos sacs?
Ah et puis on commence à recevoir des coups de fil intéressants, comme celle qui accompagnait une famille au Rheu, un couple avec 2 bébés. Le lieu d’hébergement qui refuse d’ouvrir avant 17h… C’est bien, c’est très digne d’attendre 5 heures de suite debout devant une porte fermée avec ses 2 bébés sous le bras. Alors certains invitent les personnes chez elles jusqu’à 17h…
Ah et puis ces migrants sans papiers qui n’ont pas osé rester la nuit dernière à Pacé, peur de la PAF (Police de l’air et des frontières) du petit matin, difficile de leur en vouloir. Alors on les accompagne jusqu’à la porte de la préfecture et on dit aux policiers qui bloquent l’accès « la dame enceinte là et sa petite fille étaient au squat de Pacé, mais n’ont pas le papier distribué ce matin, par contre ils ont bien été recensés par la préfecture la semaine passée, pourraient-ils rentrer s’il vous plaît, car on va quand même pas laisser une femme enceinte à ce point dehors, hein ? » On reprendrait presque espoir quand un des messieurs devant la porte (Renseignements généraux ?) finit par accepter d’aller se renseigner.
Puis on commence à être remis très vite dans la réalité quand on entend les policiers ricaner en disant « sympas les Pacéens, ils en récoltent dans la rue et ils nous les amènent maintenant ». On explique au policier que c’est mal de se moquer ainsi des gens qui sont en plus devant lui et qui l’entendent. Et puis de toute façon on laisse tomber, car la personne ne revient et confirme que les migrants qui n’ont pas le papier distribué le matin à Pacé ne seront pas reçus. Même pas les femmes enceintes, et ça c’est vraiment décidément de plus en plus digne.
Bon allez, stop, excusez-moi de ce long message, c’est fou comme la dignité m’en met gros sur la patate aujourd’hui… »
M.

Circulaire Valls sur l’immigration : bien timide…

Stéphane Maugendre, président du Gisti.

Stéphane Maugendre

On l’attendait avec impatience. Manuel Valls l’a présentée ce matin en conseil des ministres : on a quelques informations sur la nouvelle circulaire concernant la régularisation des migrants sans papiers.
Interrogé par France-Inter au journal de mi-journée, Stéphane Maugendre, président du Groupe d’information et de solidarité avec les travailleurs immigrés (le GISTI) fait une première remarque : il s’agit d’une circulaire. Or une circulaire n’est pas une loi. « Elle n’est pas opposable à l’administration », rappelle Stéphane Maugendre. Ce qui signifie en clair que si une préfecture ne l’applique pas, le tribunal administratif ne pourra pas lui en faire reproche.  Une circulaire, « ce sont des instructions données aux préfets, qui les appliqueront ou ne les appliqueront pas ».
C’est la première faiblesse de la procédure. Ça n’est pas la seule.
Manuel Valls avait annoncé la définition de critères objectifs, assurant aux sans-papiers un traitement identique dans tout le pays.
Or que constate-t-on ?
Pour les jeunes adultes, qui viennent d’avoir leur majorité : ils devront justifier d’une scolarisation « sérieuse et assidue » pendant 2 ans. « Sérieuse » : critère objectif ?
Des conditions de ressources « suffisantes » : objectif ?
Les parents devront prouver qu’ils contribuent « efficacement » à l’éducation de leur enfant : objectif ?
Par ailleurs, les travailleurs sans papiers devront prouver qu’ils ont travaillé, en présentant soit le contrat de travail, soit des fiches de paye, soit une promesse d’embauche. Rares sont, évidemment, les travailleurs sans papiers qui travaillent régulièrement, dans le respect du code du travail, et rares sont les employeurs qui leur signent un contrat ou leur délivrent des fiches de payes. Dans ce domaine, la preuve sera quasiment impossible à établir.
Quelques progrès à relever cependant : le conjoint d’un ressortissant français devra justifier d’une vie commune d’un an et demi au lieu de cinq ans auparavant. Par ailleurs, « pour les familles, l’une des principales avancées du texte – qui entrera en vigueur le 3 décembre – concerne l’ouverture de la régularisation à celles justifiant d’une présence d’au moins cinq ans sur le territoire français et ayant au moins un enfant scolarisé depuis trois ans » (Le Monde). Autre progrès : « Une autre avancée de la circulaire pour les familles concerne la possibilité de déposer un dossier même si les deux parents sont en situation irrégulière. Il fallait auparavant qu’au moins un des deux soit en règle ».
Il faudra bien sûr lire en détail le texte de la circulaire, mais il semble bien qu’elle se situe dans la droite ligne de celles qu’ont pu signer les Besson, Hortefeu et Guéant : le gouvernement ne change pas de politique en ce qui concerne l’immigration. Il faut, une fois encore, et comme dans le domaine de la sécurité, donner des gages à la droite, quitte à en reprendre au moins en partie la philosophie… On ne peut pas dire qu’on n’était pas prévenus : le candidat Hollande s’est appliqué, pendant la campagne, à esquiver le sujet de l’immigration.
Lire aussi le site du Nouvel Observateur et le site du journal Le Monde.