Des responsabilités nouvelles pour les défenseurs des droits…

La masse des réfugiés fuyant les guerres qui ravagent le Moyen-Orient a successivement ému puis inquiété. Après avoir bousculé l’Europe de Schengen et sa définition des frontières, elle percute ses politiques migratoires. Elle crée de fait une situation profondément nouvelle dont doivent impérativement tenir compte les acteurs de la société civile.

S’il n’y avait qu’une leçon à tirer du drame des réfugiés, s’il fallait absolument dégager un enseignement unique au milieu de la masse de réflexions qu’inspire cet exode à échelle continentale, c’est sans doute que, en politique, la myopie – ou l’autisme, comme on préférera – coûte cher et coûte cher à tout le monde. Pour que les choses soient bien claires, par « coût », nous entendons ici le poids du sang et des larmes, de la peur et des humiliations. A force de se penser en forteresses, à force de considérer le monde extérieur comme une vaste zone à risques, de laisser se noyer – au sens figuré comme hélas ! au sens propre – des dizaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants, hâtivement camouflés sous un amas de labels allant d’« illégaux » à « migrants économiques » censés chacun délégitimer leur quête de sécurité, l’Europe et la France se sont mises hors jeu d’humanité. A force de ne rien vouloir voir, on devient aveugle ; en s’acharnant à ne rien entendre, on devient sourd ; en enfermant sa raison dans les mornes routines de l’administratif sécuritaire, on s’interdit de capter le pouls du monde, ce dernier fût-il affolé et en flammes.

D’où les pas de quatre qui ont marqué la posture gouvernementale à la rentrée, d’où le caractère timoré de ses propositions, tant au plan quantitatif qu’au plan qualitatif, d’où – enfin et hélas ! – un affichage public de solidarité, soigneusement contrebalancé par des protestations de « fermeté ». Ces auto-injonctions contradictoires ne sont que le reflet pathétique d’un non-choix, d’une mauvaise conscience combinée aux pires calculs. Le gouvernement veut-il être à la hauteur de la situation nouvelle et tragique qui prend forme sous nos yeux ou veut-il complaire aux sirènes frontistes ? Veut-il tutoyer l’Histoire en la regardant droit dans les yeux ou détourner le regard en lançant un jeu de patates chaudes avec les collectivités territoriales, afficher une solidarité minimale, voire honteuse, et la justifier par son caractère sélectif et « exigeant » ? Entre « accueil digne » ici et « hotspots » – autrement dit des centres de tri – « là-bas », il faut choisir. Car chacun comprend bien que, « là-bas », la dignité sera très difficilement au rendez-vous. Il serait temps, grand temps que le gouvernement prenne la juste mesure du bilan des politiques migratoires mises en œuvre ces dernières décennies. Il est assez simple : catastrophique aux plans démocratique, civique, social, économique. Mais on peut craindre qu’il ne poursuive sur cette même lignée, exacerbant de fait les oppositions des uns avec les autres, les peurs qui en résultent et les instrumentalisations qu’elles alimentent… Si cela se vérifie, le pire est à venir. C’est bien contre ce pire qu’il faut se mobiliser. L’éternelle question étant de savoir comment, dans des conditions nouvelles, faire vivre la solidarité.

La société civile, en Europe comme en France, a été au rendez-vous ; les premiers jours de septembre ont vu se multiplier les mobilisations interassociatives de grande ampleur : en France, on a vu se succéder une interpellation du président de la République, une manifestation unitaire à Paris pour affirmer le droit à l’asile et, surtout, des dizaines d’initiatives décentralisées autour d’une immense exigence solidaire ; en termes d’orientation, de niveau, de moyens. La Ligue et ses sections ont été et restent pleinement parties prenantes de ces efforts, sur l’ensemble du territoire national ; elles ont été et restent attentives à ce que l’humanité l’emporte, à ce que les droits des personnes soient affirmés et respectés. Rien de neuf, à cet égard, par rapport à ses engagements antérieurs. On retrouve là les valeurs fondamentales de la Ligue, dans la continuité des efforts quotidiens de ses militantes et militants aux côtés des déboutés du droit d’asile, des travailleurs sans papiers, des mineurs isolés étrangers, des Roms, de tous celles et ceux qui sont en butte à la xénophobie, aux discriminations et aux « préférences » prétendument nationales. Mais le contexte de guerre, l’ampleur des flux en jeu – flux qui, au vu des affrontements en cours et à venir, ne vont certainement pas se tarir – créent un contexte nouveau et font que cet engagement est inévitablement pluri dimensionnel et à long terme.

Le défi, pour pouvoir être relevé, nécessite le rassemblement, la vigilance et l’information, des débats concrets. Le rassemblement concerne la société civile engagée en première ligne dans la défense de la dignité des personnes et de leurs droits fondamentaux, qu’il s’agisse de leur état civil, de la santé, de l’éducation, du logement. Il a besoin pour exister de volontés, certes, mais aussi de lieux, de moments où jouer un rôle, exercer un rôle d’information, de vigilance et d’exigence vis-à-vis des politiques mises en œuvre dans les territoires. Enfin, de pouvoir engager des débats exigeants avec les pouvoirs publics sur les propositions concrètes dont les acteurs de la société civile, dans leur diversité, sont porteurs. Un tel champ, s’il s’ouvrait, jouerait évidemment un rôle fructueux pour faire face aux drames humains des réfugiés ; mais il s’inscrirait également dans la promotion du débat national que nous réclamons de longue date sur la situation des migrants dans notre pays. Il signerait une dynamique démocratique dont notre République a grand besoin. Pour l’heure, c’est un défi ; reste à le relever.


Retrouvez ici la lettre ouverte au Président de la République sur l’accueil des réfugiés et des migrants en France et en Europe et ici l’appel unitaire “Asile! C’est un droit!”.

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