La LDH soutient le film documentaire « La mort se mérite », de Nicolas Drolc

Sortie le 20 septembre 2017

 

Nicolas Drolc avait déjà tourné Sur les toits, un film sur les révoltes de prisonniers dans lequel il interviewait, entre autres, Serge Livrozet et Henri Leclerc. Il nous livre ici le portrait d’un militant intraitable, figure truculente des combats de 68 et des luttes des taulards pour leur dignité et pour leurs droits.

Fils d’une prostituée, entouré de voyous, apprenti plombier à 13 ans, Livrozet prend vite conscience qu’il est né dans le camp des exploités, que la société est une pieuvre qui dévore les individus, et que tout pouvoir est abusif. Il décide alors de voler aux riches pour donner aux pauvres ; c’est de la « récupération individuelle ». En prison, il lit Karl Marx et apprend à écrire en français. Il en sort très politisé, révolutionnaire et est blessé par une grenade en 68. Il reprend les cambriolages, est de nouveau incarcéré et insulte la justice malgré les appels à la modération de son avocat Jean-Jacques de Felice. Il tient les Assises de la Justice à Colmar, rencontre Michel Foucault avec lequel il se lie d’amitié, fonde en 1972 le Comité d’action des prisonniers et son journal, interdit dans les prisons. Le comité s’auto-dissoudra en 1980, par lassitude, sur un constat d’échec : les prisons ne sont pas près d’être abolies et la révolution n’est pas pour demain. Il fonde alors Les Lettres libres, maison d’édition dont il est le responsable, mais est très peu rémunéré. La maison ne survivra pas aux difficultés financières et à un procès d’assises, où il est accusé d’imprimer de la fausse monnaie et dont il sort acquitté. Depuis, il est reconnu comme un spécialiste des prisons – il a pratiqué Los-les-Lille, Melun, les Baumettes, et défend l’idée que tout prisonnier est politique – et se définit comme écrivain de métier, avec une quinzaine de livres à son actif.

C’est un homme de 80 ans qui retrace sa biographie, après une lourde opération cardiaque. Il met à jour ses contradictions avec sincérité : sa vision de la société et ses colères sont intactes ; il est resté l’anarchiste libertaire et non-violent de sa jeunesse ; jamais il n’a pactisé, même si ses espoirs ont échoué. Il dit détester la vie, qu’il n’avait pas demandée et dont il a une vision shakespearienne, bruit, fureur et inutilité. Mais il en apprécie les agréments, l’amour, la bonne chère, les cigares, les voitures, et reconnaît qu’il n’a pas eu le courage d’en finir au lieu de se laisser soigner. Livrozet est une figure attachante par sa sincérité et son humanité ; tantôt complaisant sur son charisme et son souci de « reparaître » avant de mourir, tantôt désespéré sur l’inutilité de ses combats, même s’il reconnaît des progrès de la justice comme l’abolition de la peine de mort et des quartiers de haute sécurité.  D’où ce souci de se dire écrivain – les livres restent – et non plus militant.

Le film est assez lent, au gré de la parole de son protagoniste et de ses ballades au volant, du Cap Ferrat à la Baie des Anges, sur cette Côte d’Azur où s’est retiré le vieux solitaire, natif de Toulon. L’image en noir et blanc et la prise de son sont volontairement sales, en contraste avec les reportages d’archives des années 70, beaucoup plus sages sinon par le sujet, du moins dans la forme.

Ainsi on peut recommander ce film : beau portrait d’un honnête homme, ancien cambrioleur, et militant d’une totale sincérité ; retour sur une époque qui est encore dans nos mémoires et dont l’histoire a commencé à se saisir ; méditation sur la militance, ses espoirs et ses échecs, mais affirmation maintenue de la prééminence de la question des droits, ceux des pauvres, des travailleurs et des prisonniers.

 

La mort se mérite

Digressions avec Serge Livrozet

Film documentaire, 2017

Durée : 1h37

Réalisation : Nicolas Drolc

Production : Les Films Furax

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