Lettre à Anna

La LDH soutient le film “Lettre à Anna” d’Eric Bergkraut. En hommage à Anna Politovskaia. Mais aussi en soutien à la lutte pour lé démocratie en Russie. Sortie en salles le 18 novembre 2009. Compte rendu de Nicole Savy, membre du Comité central de la LDH
Le 15 juillet 2009 : Natalia Estemirova, militante des droits de l’Homme en Tchétchénie, membre de Memorial, est enlevée à Grozny et assassinée, après des mois d’intimidation et de menaces de Ramzan Kadyrov, président tout-puissant du pays et homme lige du Kremlin.

Le 7 octobre 2006 : le monde a été bouleversé par l’assassinat de la journaliste Anna Politkovskaïa. Mêmes commanditaires, mêmes objectifs : faire taire deux voix courageuses qui enquêtaient sans relâche sur la guerre, la torture, les exactions commises par un régime totalement corrompu.

Et il y en a eu d’autres, comme l’avocat Markelov et l’ex-agent du KGB Litvinenko, irradié au polonium à Londres, en 2006.

Entre temps, l’oubli, l’indifférence et le rejet par l’opinion internationale, et l’impunité pour les vrais criminels, en sacrifiant pour la forme quelques exécutants subalternes.

C’est la raison même de ce film : faire savoir, à travers le portrait d’Anna Politkovskaïa, qu’il y aura un jour un tribunal pour juger vraiment ces crimes, parce que des gens comme elle ont recueilli et archivé à l’étranger des monceaux de preuves : témoignages, enquêtes, films dont les rares extraits qu’on voit ici sont terrifiants.

C’est un autre film que le réalisateur avait entrepris sur Anna, en 2003 et 2004. Mais sa mort a tout changé. Elle disait déjà, dans ces années-là, que c’était un miracle qu’elle fût encore en vie. Journaliste à Novaya Gazeta, le dernier organe de presse indépendant en Russie, Anna consacre sa vie à la recherche implacable de la justice et de la vérité. A partir du moment où elle commence à se rendre en Tchétchénie, elle sait qu’elle vit avec le danger. Elle continue obstinément, à l’effroi de son entourage et de ses collègues, parce qu’elle pense que cette guerre est à la fois une guerre coloniale et un génocide et qu’il faut démasquer les coupables. Elle enquête sur Kadyrov et sa milice privée qui se livre au racket, au viol, à la torture, à l’assassinat. Médiatrice dans la prise d’otages du théâtre de Moscou en octobre 2002, elle voit la négociation interrompue par la prise d’assaut qui fait 129 morts. Elle apprend que le seul terroriste qui a réussi à s’échapper était un agent provocateur. En 2002 encore, elle est arrêtée en Tchétchénie par des militaires russes, jetée dans une fosse et libérée par miracle. Elle dit sobrement qu’elle est contente d’avoir enfin vu ces fameuses fosses et refuse de raconter l’interrogatoire qu’elle a subi. En septembre 2004, elle se précipite dans l’avion pour éviter le bain de sang quand des terroristes prennent en otages les enfants de Beslan : on lui sert un thé empoisonné. Elle est ramenée à Moscou quasiment dans le coma et ne s’en remet jamais complètement.

Il y a Anna, à laquelle Catherine Deneuve a prêté sa voix en français, et il y a autour d’elle beaucoup de proches et d’amis pour témoigner et faire son portrait : sa sœur, ses enfants, son ex-mari, son ami dissident Andreï Mironov, Andreï Nekrasov. Il y a aussi des mises en accusation politique du régime par Gary Kasparov et par l’ancien oligarque Berezovsky, qui vit à Londres. Il y a surtout sa grande amie tchétchène, Zaynab Gashaieva, aussi courageuse qu’elle, amassant inlassablement des vidéos qu’elle fait passer en Suisse.

Il y a enfin un portrait, celui d’une femme généreuse et dure, gaie et séduisante, volcanique et d’une force admirable. Véritable héroïne, capable aussi d’avouer qu’elle est superstitieuse et qu’il ne faut pas dire ce qu’on craint le plus sous peine d’attirer la catastrophe. La catastrophe a eu lieu. Elle n’a pas eu le temps de voir naître sa petite-fille, qui a été appelée Anna-Victoria : mais la victoire viendra un jour pour Anna, Natalia et ceux qui comme elle se sont mis en colère.

Film documentaire, 2009. 75’. Réalisation : Eric Bergkraut. Production : p.s.72 et zero one films. Distribution : Nour Films

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