La LDH soutient le film “Le Repenti” de Merzak Allouache

Ce film, du cinéaste algérien Merzak Allouache, à travers une fiction qui prend une valeur emblématique, est une manière d’évoquer les non-dits, les silences, les omissions et toutes les ambigüités qui contribuent à créer l’atmosphère lourde qui pèse sur la société algérienne.
En septembre 2005, après les années noires de la guerre civile des années 1990 en Algérie qui avait fait des dizaines de milliers de victimes, a été organisé un référendum pour adopter une charte « pour la paix et la réconciliation nationale », permettant aux responsables des milliers d’enlèvements et meurtres commis pendant ces années d’échapper à toute poursuite. Les maquisards islamistes acceptant de rendre les armes, comme les membres des forces de sécurité responsables de crimes, ont été amnistiés sans que les familles de disparus ne soient informées, ne serait-ce que des conditions de la mort de leurs proches et de leur lieu d’inhumation. Le Collectif des familles de disparus, créé en 1998 à Alger par des mères, épouses et sœurs d’Algériens enlevés durant ces années de plomb, n’a cessé de se battre depuis contre cette politique de l’oubli qui laisse persister les douleurs et débouche sur d’autres drames. Cette Charte, pleine de contradictions, a prévu des compensations en faveur des familles de disparus, sans qu’aucun compte soit exigé des auteurs d’enlèvements, sans qu’aucune responsabilité de membres des forces de sécurité ne soit évoquée et sans qu’on puisse demander aucun compte à l’Etat.

Merzak Allouache explique ainsi l’origine de ce film : « A partir de 1993, j’ai vécu six ans sans pouvoir rentrer en Algérie pour des raisons de sécurité personnelle. Et lorsque s’est profilée l’idée d’un arrêt de la violence qui ensanglantait le pays, j’étais très heureux. En 1999, lorsque je suis rentré, j’ai retrouvé un pays où régnait un optimisme étonnant et irréel. Une politique de Concorde civile était proposée au peuple algérien pour permettre, semblait-il, l’arrêt total de la violence. La presse nous apprenait que des contacts secrets entre l’armée et les islamistes qui se trouvaient dans les maquis allaient permettre très vite le retour de ceux-ci dans leurs foyers et l’arrêt des massacres, des embuscades, des attentats… Les Algériens découvraient un mot nouveau, ʺrepentiʺ (ta’ib, en arabe), désignant ceux qui abandonnaient la lutte armée et se plaçaient sous l’autorité de l’Etat.

Alors que le pays était meurtri, l’Etat encourageait les gens à oublier, à se réconcilier… Je me demandais comment les familles des milliers de victimes de l’horreur pouvaient réagir à cette nouvelle situation, alors que par centaines, des terroristes quittaient les maquis en se justifiant de n’avoir pas eu ʺde sang sur les mainsʺ. Alors que les bonnes affaires reprenaient…, nous redevenions tous des ʺfrèresʺ, comme par magie…

C’est au cours de cette période euphorique que j’ai découvert un petit article racontant la terrible histoire d’un homme qui avait été contacté par un ʺrepentiʺ qui lui proposait un horrible marché… L’homme, scandalisé, avait écrit une lettre au journal. Et puis plus rien. Avait-il accepté ?

Cette histoire m’a tellement hanté que j’ai décidé de faire ce film dans l’Algérie d’aujourd’hui, où l’amnésie continue, alors que l’optimisme artificiel a disparu et que dans certaines régions, la violence terroriste est toujours aussi meurtrière, avec ses corollaires : la répression et la restriction de libertés. Depuis, j’attends avec impatience quelque chose de positif qui démontre que cette réconciliation a réussi, qui me permette d’être optimiste. Mais ça ne vient pas. »

A propos de la réception de ce film en Algérie, il ajoute : « Mon scénario a été rejeté par la commission de lecture du ministère de la Culture algérien, mais j’ai pu le tourner malgré les très faibles moyens financiers à ma disposition. Depuis, une espèce de chape de plomb s’est installée autour de l’existence du repenti. On en parle très peu dans la presse algérienne. On passe souvent sous silence sa présence dans les festivals. J’ai l’impression d’avoir fait un film ʺhonteuxʺ, mais cela renforce ma conviction qu’il fallait le tourner. »

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